Strange Days
Le pitch : Ancien policier, Néro est un petit trafiquant de squid, des disques qui permettent d’enregistrer et de revivre les sensations d’un autre. Mais un jour, un disque d’une rare brutalité va le mettre devant ses responsabilités.
Kathryn Bigelow a été reconnue par ses paires avec Démineurs et a connu un succès mondial avec Zero dark Thirty. Mais avant cette doublette d’exception, il y avait eu Aux frontières de l’aube, Point Break et ….Strange Days !! Un film fleuve, produit et écrit par un James Cameron en état de grâce et dont l’impact fut d’une puissance incroyable. Problème : personne n’alla le voir (ou presque !! Votre serviteur eut la chance de le voir en salle et se rua sur le Laserdisc dès sa sortie).
Tout était fait pour que le film soit un triomphe. Ralph Fiennes venait de tourner La liste de Schindler, Cameron avait triomphé avec True Lies et Katryn était à l’apogée de la première phase de sa carrière. Ajoutez à cela un thème puissant et totalement dans l’ère du temps, une mise en scène implacable et un scénario bourré de rebondissement. Bref, le blockbusters calibré pour le succès. Mais rien ne se passa comme prévu.Strange Days s’écrasa dès son premier week-end (3,7 millions seulement) et finit sa carrière à 7,9 ! Il en avait coûté 42 ! La grande Katryn mit 7 ans pour revenir à la mise en scène (la doublette K19 – Le poids de l’eau) et il est clair que cet échec a retardé l’éclatement de son talent sur la scène mondiale.
Mais foin de chiffre ! Strange Days n’est pas seulement le meilleur film d’anticipation de ces 20 dernières années ! C’est surtout une leçon de cinéma qui vous prend à la gorge dès sa première scène (un braquage vécu en temps réel). À partir de là, le film vous aspire et ne vous lâche plus. Construit comme une poupée gigogne avec retour dans le passé, scènes hallucinantes en point de vue subjectif (dont une très éprouvante scène de viol) et atterrissage brutal dans le présent, Strange Days ne cherche jamais à faciliter la tâche du spectateur, l’estimant suffisamment intelligent pour remettre toutes les pièces du puzzle dans l’ordre.
On suit alors les mésaventures de Néro, on le voit s’enfoncer de plus en plus loin dans l’échec et chercher vainement la lumière au bout d’un tunnel cauchemardesque. Car ce qui commence comme un film de Geek va rapidement se transformer en un thriller implacable et une réflexion incroyablement poussée sur le pouvoir de l’image. Un thème gonflé dans un film de cinéma. Car ici, le squid n’est qu’un prétexte pour parler d’amour perdu, de pouvoir et de manipulation. En faisant de son héros, un looser profiteur et paresseux, Cameron brisait le moule classique qu’il avait pourtant édifié durant des années. Mais en faisant d’une femme (magnifique Angela Basset) le personnage fort du film, il renoue avec la tradition des 2 Terminators, d’Abyss ou d’Aliens. Bref, Cameron reprend ses thèmes favoris, notamment la méfiance envers l’autorité, et les entremêle avec des nouveaux. Mais cette opposition entre un homme faible et une femme forte explique sans doute l’échec du film, sans compter le choix du héros : Ralph Fiennes ne sortira de l’image du salaud ultime qu’avec Le patient anglais, un an plus tard.
Côté distribution, Strange Days bénéficie de l’interprétation très ambiguë de Juliette Lewis, à la fois Sainte Nitouche et très sexuée. Très courte vêtue, manipulatrice tout en cachant mal ses sentiments, l’actrice interprète également deux superbes chansons dans le film, parfait mélange entre mélodie tordue et son métallique brutal !! Lewis se donne à fond et est donc l’antithèse d’Angela Basset, cette dernière restant d’une fidélité sans faille à Néro. Michael Wincott joue dans son registre habituel du méchant que l’on aimera détester (même s’il se révèle au final une victime) et parvient sans souci à égaler ses performances de 1492 et The Crow. Il est amusant que les cheveux de l’acteur seront de plus en plus court au fur et à mesure que ses personnages deviennent moins « 100 % Evil » et il finira avec une coupe très courte dans Alien 4. Mais là, il est encore à fond dans le trip heavy, surtout dans cette scène où il joue de la guitare dans son immense loft !
Tom Sizemore interprète également un personnage à la moralité douteuse et lui donne une aura parfois vénéneuse.
Scénario dantesque, personnages extraordinaires, mise en scène au cordeau… À toutes ces qualités, Kathryn Bigelow ajoute un aspect très heavy metal : bande son travaillée très métal, cheveux longs et tatouages en pagailles, culture underground omniprésente… La réalisatrice prolonge son travail entamé dans Point Break en s’intéressant à ce que la société appelle des « marginaux ». Il est clair qu’elle aime cette frange parallèle et remuante de la musique. Et sa façon de filmer lui rend totalement hommage.
Bien sûr, Strange Days n’est pas seulement un film heavy metal ! C’est aussi un sacré long-métrage d’action, avec des scènes où le talent de sa réalisatrice éclate à l’écran. Le point culminant est, bien entendu, la fiesta de l’an 2000, avec ses milliers de figurants, ses concerts à tous les coins de rue et son émeute qui s’inspire de l’affaire Rodney King. Bigelow et Cameron n’ont pas fait les choses à moitié et la tension, palpable, est le moteur final du film.
Strange Days se finit sur un plan magnifique, où Néro se décide enfin à tourner la page et avouer son amour à son « garde du corps ». Le couple s’embrasse alors que la caméra s’envole et que la foule tout entière autour d’eux danse au son de la nouvelle année. Du début à la fin, le film a tenu toutes ses promesses. Dommage que le spectateur n’ait pas eu envie de tenter l’aventure…