Le pitch : emporté par une tornade, un magicien minable se retrouve au pays d’Oz où il va enfin trouver destin à la mesure de ses espérances.
Sam Raimi a le don de brouiller les pistes. Alors qu’il aurait pu se cantonner au gore après le premier Evil Dead, chef d’œuvre dont la modernité étonne encore plus de 30 ans après sa sortie, il s’est rapidement tourné vers d’autres genres. Ainsi son deuxième film, Mort sur le grill, était une sorte d’hommage aux films noirs. Et s’il revenait périodiquement à l’horreur et au fantastique (les autres Evil Dead, Darkman, Jusqu'en enfer), il n’a eu de cesse que d’explorer d’autres territoires comme le western avec Mort ou Vif ou le drame policier avec le sublime Un plan simple avec Bill Baxton voire le film sportif (l'oublié mais pourtant excellent Pour l'amour du jeu).
Cependant, la première trilogie de Spider-Man a changé tout cela. Le monde a découvert un réalisateur au talent indéniable, sachant mêler le pur fantastique, la romance, le drame, la violence graphique et capable d’utiliser comme jamais une icône de la BD US.
Désormais bankable, Raimi peut explorer de nouveaux univers et les budgets auxquels il peut prétendre ne restreignent plus ses ambitions.
Oz est un film ambitieux ! Car non seulement il ré-invente le célèbre et merveilleux pays de Dorothy, mais surtout il se permet d’expliquer ce que sera le pays d’Oz. Certains auraient pu sombrer devant une telle vanité. Raimi se « contente » de faire son travail de conteur, d’exploiter de superbes effets visuels et d’aller au bout de son idée.
Mi film enfantin aux thèmes adultes mi film d’aventure aux thèmes enfantins, Oz se propose donc d’être une vraie préquelle au classique de 1939. L’ouverture magistrale en noir et blanc et écran carré reprend exactement le procédé de l’original. Raimi y présente son magicien, Oz, un être vaniteux et lâche, fuyant les responsabilités doublé d’un goujat (James Franco est prodigieux). Mais dès l’arrivée dans le pays magique, par le même procédé que Dorothy à savoir la tornade, l’écran s’agrandit, la couleur explose et l’inventivité des décors lance le film vers des sommets inédits.
Il est d’ailleurs intéressant qu’une telle prise de risque ait aussi bien marché. On le sait , le public US n’aime pas les héros trop négatifs, même si ici, le personnage va logiquement évoluer. De même l’ambition du film aurait pu le faire passer pour pédant. Il n’en est rien. Vu d’un angle commercial, Oz en donne pour son argent. Vu d’un angle narratif, les multiples personnages féminins permettent de voir l’évolution de Oz, et les personnages secondaires, réalisés en image de synthèse comme le singe volant ou la poupée de porcelaine relancent sans cesse une intrigue relativement simple en apparence.
Mais c’est bien entendu James Franco qui tient le film sur ses épaules. Déjà largement gagnant de la trilogie de Sam Raimi dans son rôle d’Harry Osborn, le comédien s’est lui aussi refusé à se cantonner à des stéréotypes. Son talent avait d’ailleurs éclaté dans 127 heures. Ici, il fait merveille avec ce personnage détestable, mais qui réussira, presque contre sa volonté, à faire ce qu’on demande de lui. La tentation aurait été grande de lui donner de vrais pouvoirs magiques, mais le scénario, au contraire, s’axe sur ses talents de prestigitateur, ancrant finalement le film dans une réalité plus terrestre.
On le sait, Sam Raimi sait s’effacer derrière sa mise en scène, même s’il s’offre toujours quelques plans de virtuose, histoire de rappeler qu’à 20 ans, il montait sa caméra sur une mobylette pour foncer sur Ash dans le premier Evil Dead. Ici, c’est une succession de voyage, dont un inoubliable où les protagonistes, protégés par des bulles de savon survolent le pays d’Oz. L’union entre les effets visuels, la candeur de James Franco et la caméra virevoltant des différents points de vue donnent sans aucun doute une des plus belles scènes du film. Raimi aime filmer ses acteurs et le prouve encore ici.
Mais la plus grande réussite du film, c’est bien de faire un spectacle que tout le monde pourra regarder, l’enfant qui se focalisera sur les petits personnages ou les scènes de batailles et l’adulte qui assistera à la métamorphose des personnages, notamment la naissance de la célèbre sorcièce.
Lointain écho du film classique, cette relecture de Oz version 2013 tient toutes ses promesses et plus encore. Sam Raimi ajoute une pierre à son œuvre déjà considérable, et il le fait en toute modestie. L’homme qui a eu le culot de refuser un Spider-Man 4 qui ne correspondait pas à ce qu’il voulait, peut continuer son chemin sans aucun regret. Oz est une réussite, dépourvue de tout cynisme et surtout pas une œuvre de geek ! Bien au contraire, il prolonge de manière magistrale le film de 1939. Et quand on connaît le nombre de suites ratées ou bâclées de Oz, la performance n’en est que plus remarquable. Il fallait juste un réalisateur mettant en avant l’humanité de ses films plutôt que de calculer les bénéfices à venir. Et un studio capable de lui faire confiance.
Finalement, cela tient à peu la réussite d’un film.