Le pitch : notre cerveau est le siège de nos émotions : joie, tristesse, dégoût, peur, anxiété. Découvrons donc ce qui se passe dans la tête d’une petite fille de 10 ans, Riley, qui, suite à un déménagement, va perdre tous ses repères.
Où s’arrêtera Pixar ? Quelque soit le sujet auquel le studio s’attaque, la réussite est totale. Que l’on soit dans le monde des jouets, des voitures parlantes, des insectes, des monstres rigolos et j’en passe, l’imagination, le soin apportée aux personnages, l’animation (100 coudées au-delà de ses concurrents) ne connaît qu’un seul mot : qualité !!
Qualité d’écriture : avec ce pitch alléchant et malgré un classique de chez Pixar, à savoir des personnages qui se retrouvent brusquement projetés dans un monde qu’ils ne connaissent pas, le scénario de Vice-Versa est incroyablement riche, ponctué de rebondissements et que cela soit les dialogues, les situations, les nombreux personnages, le soin apporté à l’écriture reste une constante maison. Le réalisateur, Pete Docter (déjà derrière les magistraux Là Haut ou Monstre et Cie) a placé une fois de plus la barre très très haute. On sent une réflexion poussée derrière chaque image, chaque ligne, chaque scène. Et pourtant, ce n’est pas une mécanique sans âme (ce qui serait un comble pour un sujet traitant de notre personnalité) qui se met en route, mais bien une histoire merveilleuse et incroyablement humaine. Vice-Versa en dit bien plus sur notre nature profonde que tous les machins pseudo-intellectuels présentés à Cannes depuis des lustres.
Qualité d’animation : depuis 1995 et Toy Story, Pixar ne moque des modes et seul compte pour ses magiciens la beauté de l’image. Les films Pixar s’adaptent à leur sujet et que l’on soit sous l’eau, sur une terre polluée, dans l’ouest américain ou en Irlande, c’est bien l’histoire qui guide la technique, pas le contraire. Pas d’esbrouffe, pas de techniques « m’as-tu vu » mises en avant. L’histoire a besoin de telle ou telle scène, les informaticiens permettront aux artistes de s’affranchir des difficultés techniques. Ici, il fallait que le personnage de Joie soit entouré d’un halo de particules en mouvements, d’une sorte de couche de poussière. Cela n’a l’air de rien, mais il est évident que le calcul de tous ces éléments devait être monstrueux. Il donne à Joie une aura bien particulière. Un petit détail qui n’a l’air de rien, mais qui transforme un personnage somme toute banal en une merveilleuse créature respirant la joie de vivre.
Idem pour la 3D ! Certes, Pixar s’était fait devancé dans ce domaine par L’âge de glace. Mais ici, le travail sur la 3D résulte bien moins de jaillissement d’écran que d’une réflexion poussée sur la profondeur de champ. Et comme l’image est très lumineuse, on n’a pas cette impression de voile opaque que l’on peut sentir sur d’autres films. Bien entendu, la 3D est native, calculée pour chaque scène, chaque image, chaque objet. Rien à voir avec une sous-traitance dans un laboratoire en Inde. Pixar n’est pas la propriété de feu Steve Jobs pour rien. Car le créateur d’Apple estimait qu’un objet devait être beau, qu’importe le prix. Vice-versa est magnifique visuellement, que l’on soit dans le monde réel ou dans le fantasme de notre imaginaire. Les décors, surprenants, ne sont pas en reste et là aussi, on reste bouche bée devant le travail hallucinant des artistes et des techniciens de la firme.
Qualité d’universalité : plus que n’importe quel studio, Pixar s’adresse à tous, sans aucun cynisme. Un enfant de 3-4 ans rira devant les facéties des émotions, un adolescent se reconnaîtra forcément dans les situations de Riley, un adulte , surtout s’il est parent, ne pourra que regarder le film avec une émotion certaine. Mais tous riront, s’attristeront, s’émouvront. Cette universalité a souvent été le point fort de Disney, et si à un moment, le studio s’est un peu égaré (sans toutefois produire de films médiocres), l’arrivée de Pixar dans son giron lui a redonné un coup de fouet et a rappelé l’héritage de Walt, qui voulait que ses films s’adressent à tous, pas uniquement aux enfants.
Qualité tout court : chez Pixar, on ne supporte pas la médiocrité. Les nombreux essais infructueux sont impitoyablement rejetés. Et si l’on n’avait pu craindre que le studio se repose sur ses acquis, son passé (En moins de 5 ans, Toy Story 3, Cars 2 et la préquelle de Monstres et Cie se sont succédés sur les écrans), il est clair qu’il n’en était rien. Non seulement, ces séquelles étaient d’une qualité très haute et ne se contentait pas de reprendre la structure des originaux (Cars 2 est exemplaire à ce niveau, emmenant le film dans une toute autre direction), mais dans le même temps se préparaient Rebelle et Vice-Versa. D’un côté le studio rassure la maison mère en proposant de nouvelles aventures de ses personnages connus, de l’autre il explore de nouveaux horizons, de nouveaux univers. Comme chez Apple en fait : on innove d’un côté et on prolonge l’expérience des anciens produits de l’autre.
Vice-Versa est un chef d’oeuvre de plus pour le studio. Et pour le cinéma tout court. Le voir concourir en hors catégorie est une véritable honte. Il mérite bien entendu de participer à la course finale aux Oscars et si le gugusse qui sélectionne les films à Cannes avait un minimum de logique, il l’aurait fatalement mis dans la compétition et la Palme d’Or lui serait allée.
Mais Pixar a-t-il besoin de ses babioles ? L’accueil triomphal fait aux USA (Vice-Versa a obtenu le plus démarrage pour un film qui ne soit pas une séquelle) montre que le public désire qu’on l’emmène vers de nouveaux territoires. Pas tout le temps , hélas, le semi-échec de A la poursuite de demain ou le bide de Jupiter Ascending l’ayant récemment prouvé. Mais de temps en temps, un miracle se produit : un Ovni cinématographique transcende le public et triomphe au Box Office.
Vice-versa est la preuve que, 20 ans après le premier Pixar, la firme peut encore nous émerveiller, que ses créateurs ne sont pas devenus de vilains hommes d’affaire uniquement intéressés par les dollars du public. Car franchement, qui aurait parié un centime sur un concept aussi casse-gueule ? Il faudra toujours des gens courageux dans le cinéma, pour le faire avance, pour l’amener dans une nouvelle ère. Des Cameron, des Spielberg, des Lucas, des Docter !!
Ps : à ceux qui s’étonnent que je mette 5 étoiles à Vice-Versa et Jurassic World, je réponds ceci : les deux films m’ont offert le même plaisir. Et même si Vice-Versa offre une profondeur plus intense que la visite mouvementée dans le parc jurassique , ce dernier est tout aussi estimable. C’est cela la variété du cinéma !