Le pitch : pour protéger un enfant amish , témoin du meurtre d’un policier par un autre policier, un inspecteur de police doit se réfugier dans sa communauté.
Lors de la sortie de Witness, le monde entier découvrit une communauté qui semblait hors du temps (et qui l’est toujours) : les Amish. Au delà du choc de savoir qu’il existait encore en 1985 des gens qui refusaient l’électricité, le téléphone, les voitures, les armes et qui conformaient leur vie aux Ecritures, ce qui me frappa quand je vis ce film au cinéma, c’était qu’Harrison Ford pouvait être quelqu’un d’autres que Han Solo, Indiana Jones ou un Blade Runner. Et qu’un film qui ne compte que quelques coups de feu, une cascade et une bagarre pouvait se révéler aussi passionnant qu’un polar urbain bien charpenté.
Peter Weir (qui a signé depuis des claques majeures comme The Truman Show ou Le cercle des poètes disparus) n’était pas un novice lors de la réalisation de Witness. Les voitures qui ont mangé Paris, Pique-nique à Hanging Rock, Gallipoli ou la dernière vague étaient là pour en témoigner. Mais avec Witness, il atteint une sorte de grâce avec une mise en scène épurée, une plongée sans aucun misérabilisme ou voyeurisme chez les Amish et une direction d’acteur exceptionnel, à commencer par un tout jeune Luke Haas.
Le film se divise clairement en 3 parties. La première voit le jeune Samuel et sa mère découvrir brutalement l’univers des Anglais. Les personnages sont rapidement présentés et les enjeux immédiatement posés. Puis l’action se décale dans une Pennsylvanie que l’on pourrait croire irréelle (mais qui existe bel et bien, j’ai pu le constater à l’été 2015). Subtilement, Weir évite le syndrome « Eléphant dans un magasin de porcelaine » et force est de constater que John Book va finalement se fondre rapidement dans cette vie simple, où le temps n’existe pas et où l’individu est au service de la communauté. Bien entendu, son attirance envers Rachel, la mère de Samuel, apporte une légère romance, essentielle à l’équilibre de l’histoire. La scène où il la voit, poitrine nue, est une merveille de sensibilité. Le dialogue qui suit (« Si nous avions fait l’amour, soit j’aurais du rester, soit vous auriez vu partir) montre combien Book a compris où il se trouvait et qu’il est bien conscient d’être une anomalie.
En décrivant dans cette longue partie centrale, la vie des Amish, Peter Weir fait preuve d’un respect infini, ne juge jamais ou ne donne aucune leçon de morale. Bien entendu, le décalage entre la vie urbaine et violente de John Book et un monde où prévaut la non-violence et le respect, parfois forcené, des traditions, amène quelques scènes comiques (la traite des vaches), mais jamais le le film ne tombe dans la grosse farce. Le point d’orgue est une longue scène où la communauté va construire une grange pour un jeune couple. Les talents de menuisiers de Book (petit clin d’oeil à l’ancien métier de Ford) aideront grandement à son intégration.
Enfin, une dernière rapide, plus courte et plus intense, offre l’affrontement en John Book et les policiers ripoux qui le traquent depuis le début de l’histoire. Et une fois de plus, Weir ainsi que le scénario résistent à la démagogie de faire intervenir les Amish de manière violente. C’est fidèle à leur tradition qu’ils permettront à Book de sauver sa peau. Ce dernier aura tout de même éliminé de manière définitive deux de ces trois poursuivants (dont un Danny Glover à contre-emploi du rôle qui l’a rendu célèbre dans L’arme fatale).
Le refus d’un happy end complet est symbolisé par le retour de John Book dans son monde. Il laisse finalement Sarah derrière lui alors que l’on aurait pu croire qu’il se serait intégré chez les Amish, malgré son statut d’anglais. C’est une fin désabusée où le héros malgré sa victoire n’obtient pas la fille de l’histoire. Mais finalement, rien ne nous dit que cette fin est figée et les amateurs d’histoires qui finissent bien pourront toujours imaginer leur propre conclusion.
Après ce coup de maître, Peter Weir se fera plus rare au cinéma. Le fabuleux Cercle des poètes disparus, l’élégant, mais un peu vain Green Card (avec Depardieu), le magistral Truman Show (sans doute le meilleur film de Jim Carrey avec Dijoncté), le très beau Masters and Commanders en 2004. Qu’importe, Witness a figé pour l’éternité une communauté qui, finalement, ne demande pas à intégrer notre siècle. C’est sans doute le plus bel hommage qu’il pouvait lui rendre.