Le pitch : un avocat spécialisé dans les problèmes d'assurance se voit contraint de défendre un espion soviétique en pleine guerre froide. Son intégrité va le pousser à se prendre au jeu et ce procès va totalement changer sa vie.
Steven Spielberg a toujours aimé l'histoire américaine. Lincoln, Amistad, 1941, La couleur pourpre, Arrête moi si tu peux, Il faut sauver le soldat Ryan... Et quand il ne parle pas de l'Amérique il peut se rendre sur un autre continent comme dans La liste de Schindler, Munich, Cheval de guerre ou Empire du soleil. Parfois il va y mêler du fantastique comme dans les Indiana Jones, mais il est clair que reconstituer une époque est un des dadas du réalisateur.
En fait, si l'on excepte Sugarland Express et Le terminal, la filmographie de Steven Spielberg ne s'est jamais faite dans le "présent" réalistes. Ces films contemporains sont toujours emprunts de fantastiques (ET, Jaws, Rencontres du troisième type, Jurassic Park, Always...) et le reste de sa filmographie est de la pure SF (AI, Minority Report, La guerre des mondes) ou de la fantasy (Hook, Tintin).
S'il avait déjà un peu abordé la guerre froide dans Indiana Jones et le royaume du temple de cristal, c'était surtout à l'aune de la comédie. Ici, dans Le pont des espions, point de communistes caricaturaux ou de courses poursuites en char. En fait, le dernier Spielberg est un magistral affrontement verbal entre James Donovan et tous les protagonistes du flm : l'espion soviétique capturé, le juge, les membres de la CIA, le patron du KGB en Europe, le dirigeant est-allemand... Ceux qui espèrent un film d'espionnage à la 007 seront forcément déçus car il n'y a aucune course poursuite en voiture, pas de gadget, pas de méchant dans une base secrète. La seule scène "mouvementée" est la destruction d'un avion espion U2 au dessus du sol soviétique. Mais l'intérêt et la force du Pont des espions est ailleurs.
Spielberg retrouve Tom Hanks pour la 4e fois ( à égalité avec Harrison Ford, mais ce dernier a tournée une série et non 4 longs métrages au thème différent) et il est clair que les 2 hommes sont sur la même longueur d'onde. Hanks retrouve ici un personnage au départ banal mais qui va se révéler extraordinaire. Son intégrité, sa foi en la loi et la constitution américaine (qui paradoxalement le feront détester par ses compatriotes qui le soupçonneront de sympathies communistes) sont le moteur de l'histoire. Si Donovan accepte de défendre le "colonel", espion soviétique qui n'a absolument rien de glamour, c'est uniquement dans un soucis de justice. Certes, l'espion a commis un crime contre les USA, mais il l'a fait en étant loyal envers son pays. Et pour Donovan, la constitution doit être respectée ainsi que les droits de son client.
On touche d'ailleurs un point extrêmement sensible. Le script des frères Cohen s'ingénue à humaniser les personnages, sans tomber dans l'angélisme. Ainsi, le régime est-allemand est montré dans sa brutalité et le sort du pilote américain tombé au main des autorités russes n'a rien d'enviable, à la différence du Colonel qui, certe, risque la peine de mort, mais se voit traiter comme un prisonnier de droit commun. L'amitié qui va s'installer entre lui et Donovan est palpable et sera finalement le moteur de l'histoire jusqu'à la dernière rencontre entre les deux hommes où un geste esquissé envers l'espion va engendrer un regain de crainte pour Donovan. Un Donovan qui va d'ailleurs faire sa "mission" dans le plus grand secret, sa famille n'apprenant son exploit qu'à la télévision.
Le pont des espions est clairement divisée en deux parties correspondant à deux unités de lieux. La première partie du film se déroule en Amérique, la deuxième en Allemagne de l'est (une reconstitution impeccable et qui fait froid dans le dos, dans tous les sens du terme). Chaque scène est une partie d'échec où chacun avance ses pions en tentant d'avoir un coup d'avance. Donovan se sert de sa bonne foi et de son inébranlable confiance en la justice, ses "adversaires" utilisent leur foi en le système communiste. Chacun est certain de la justesse de sa cause, ce qui évite tout manichéisme. Le scrpit ne fait pas l'impasse sur les réactions de haine des Américains envers Donovan, voire de la propagande anti-soviétique dans les écoles (la scène où une fillette pleure parce que sa maîtresse leur a montré un film sur les dégâts d'une guerre nucléaire est édifiante). Il n'édulcore pas non plus la brutalité des démocraties populaire, témoin cette scène où Donovan assiste à la mort des 3 personnes tentant de fuir Berlin Est en escaladant le mur.
Mais comme je l'ai dit, ce qui fait la saveur du Pont des espions, ce sont ses dialogues. Donovan s'énerve rarement. Il lache juste un "enfoiré" à un membre de la CIA. Du côté communiste, on est également très calme, si ce n'est quelques éclats de voix quand on s'aperçoit que l'avocat américain vous manipule. Mais pour le reste, on est dans un affrontement feutré, presque doux où les faux-semblants, les doubles sens, les demi-mensonges sont légions. Personne ne veut perdre la face et chacun à un but caché.
La mise en scène de Spielberg n'a jamais été autant au service de ses films. Ici, aucun mouvement de caméra superflu, aucune esbrouffe, des cadrages millémétrés et une lumière toujours aussi fantastique de Januz Kaminski. Quand au montage de Michael Khan, il ne laisse aucune part à l'amateurisme. La première séquence, muette, qui voit le colonel répondre au téléphone puis partir chercher un document près du pont de Brooklyn est extraordinaire. En fait, seul manque à l'appel John Williams.
Brillamment interpreté, doté d'une histoire passionnante et d'une reconstitution au cordeau, Le pont des espions s'impose instantanément comme un classique de son auteur. Il est dommage d'ailleurs que le public français ne se soit pas plus laissé séduire que cela car il est passé à côté d'un chef d'oeuvre du maître. Un de plus oserais-je dire.