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16 février 2016 2 16 /02 /février /2016 21:58
Chocolat (*****)

Le pitch : dans un cirque minable du nord de la France, Footit , un clown sur le déclin décide de prendre un partenaire pour renouveler son numéro. Ce sera Chocolat, un géant africain. Mais dans la France du début du XXe siècle, l'ascension du premier artiste noir ne se fera pas sans difficultés.

 

Attention chef d'oeuvre ! Oui, Chocolat est sans aucun doute le meilleur film français sorti depuis des lustres et Omar Sy y trouve sans aucun doute son plus grand rôle, porté par une mise en magistrale de Roschdy Zem.

 

C'est simple du premier plan où des gamins dévalent une pente afin d'aller voir un petit chapiteau jusqu'à la dernière scène où l'on voit littéralement l'âme de Chocolat rejoindre les étoiles, le film est un sans faute ! Que cela soit les costumes, les décors, les effets visuels (totalement invisibles) reconstituant la France d'il y a 120 ans, les cadrages, les accessoires, la technique est absolument parfaite. On sent que le travail de fond effectué depuis 20 ans par les cinéastes français paie vraiment.

 

Mais un film, ce n'est pas que de la technique ! C'est une histoire, des sentiments, de la comédie. Roschdy Zem l'a bien compris et il se laisse porter par une histoire magnifique. Même s'il utilise les recettes classiques du biopic (la découverte, l'ascension, la chute - même si celle ci est en filligrane), il n'en tombe pas dans les pièges. En effet, son personnage titre n'est pas si sympathique : flambeur, infidèle, égoïste même parfois. Son ascension est fulgurante, mais il la doit au travail de son partenaire blanc, ce dernier estimant que Chocolat ne travaille pas assez. C'est sans doute ici la grande force de l'histoire et, paradoxalement une faiblesse pour certains spectateurs, car Zem refuse l'hagiographie dans son biopic. Et même s'il se refuse à filmer la déchéance de Chocolat (comment passe-t-il d'Othello à un emploi de manoeuvre dans un cirque 15 ans plus tard ? la réponse est sans doute dans la biographie récemment éditée) , le réalisateur ne cache rien des turpitudes de son héros, ses défauts, ses erreurs. Mais il les contrebalance en montrant que le clown fut aussi un pionnier du rire dans les hôpitaux d'enfants, où il rencontre d'ailleurs un médecin qui le voit en être humain et non en phénomène de foire, et que s'il ne bénéficiait pas à fond du merchandising développé autour de lui, il ne s'en laissait pas conter. Plus sa popularité va augmenter, éclipsant même celle de Footit, plus il va exiger qu'on le traite à égal. On est très loin, quand il décide de jouer Othello, du "bon nègre" se déguisant en cannibale. Chocolat sera le premier artiste à apparaître dans une publicité, sera filmé par les frères Lumières (le petit bout de film est visible lors du générique final) et inspirera même Toulouse-Lautrec.

 

Dans le rôle titre, Omar Sy est absolument sublime. Le merveilleux acteur que l'on voyait poindre dans Samba (largement supérieur à Intouchables) éclate ici. Il fait rire quand il faut faire rire (même si le film n'est pas une comédie), émeut quand on assiste au racisme insensé de ce début de siècle (la scène la plus terrifiante n'étant pas la prison, mais celle où une partie du théâtre Antoine le hue) , agace parfois (le voir sombrer dans le jeu et l'alcool, gaspillant son talent est un crève coeur), mais jamais il ne laisse indifférent. C'est simple, l'acteur est fabuleux, sublime et je ne vois pas comment le César pourrait lui échapper l'an prochain...si le jury vote normalement bien sûr !

 

Autour de lui, une merveilleuse réunion de comédien : James Thierree , extraordinaire Footit, clown blanc cachant tant bien que mal ses félures et ses angoisses et dont la situation est paradoxalement plus dure encore à vivre que celle de son partenaire. Si le film n'insiste pas lourdement sur ses moeurs sexuelles (il fréquente un bar gay, efface du vernis à ongle après une nuit), on sent bien que lui aussi n'est pas totalement intégré dans son époque. Car si le début du XXe siècle est raciste, il est profondément homophobe ! Footit doit donc vivre caché, y compris de son propre compagnon de scène. Et lui aussi n'est pas décrit comme quelqu'un de sympathique. Il ne voit aucun problème à humilier Chocolat sur scène, en faisant même le fondement de leur spectacle. Mais à la différence de ces concitoyens, il ne le considère pas comme un sous-homme, mais comme un comédien à part entière, un vrai clown. Et exige de lui le même niveau d'exigence qu'il s'impose à lui même. 

 

La relation entre les deux personnages est incroyablement bien menée et voit ses rapports de force évoluer. Footit a besoin de Chocolat pour se renouveller et rebondir, mais petit à petit, c'est lui qui va devenir le faire-valoir, même s'il gagne plus d'argent. L'affiche résume bien la situation : Footit y est en arrière plan tandis que son partenaire récolte tous les bravos. D'ailleurs quand Chocolat quitte le duo, Footit va perdre à la fois un ami, un partenaire mais aussi un gagne-pain. Le film a également la pudeur de ne pas insister sur les déboires de Footit. Aux détours des dialogues, notamment dans la merveilleuse scène finale, on comprend que Footit n'a jamais laissé tomber celui qui l'a un jour abandonné. Par amitié ? Par mauvaise conscience de l'avoir exploité ? peut être les deux. La force du film justement est de laisser certains moments dans l'ombre, de laisser le spectateur se faire sa propre idée. Le scénario se refuse à souligner grossièrement ce qui est compris en filligrane.

 

Mais au delà de la vision du spectacle (le cirque minable, le cirque parisien, le théâtre classique), on assiste aussi à une plongée dans une France d'avant 1914 rarement montrée au cinéma. Le racisme, bien sûr, mais aussi le militantisme quand Chocolat rencontre en prison un intellectuel noir, choqué de voir que le clown prête à ce point le flanc aux humiliations pour faire rire les blancs. Les scènes entre les deux acteurs permettent de pénétrer dans un autre monde, un monde bien plus gris, parfois effrayant (le bidonville parisien renvoie forcément à nos "jungles" où s'entassent les migrants) et le propos politique du film, subtil lui aussi, va forcément faire évoluer les idées du clown. C'est en discutant avec son ami, qui lui donnera à lire Othello, que Chocolat décidera de briser les chaînes qui le lient à Footit. Mais cette volonté de s'affranchir provoquera sa chute, même si celle ci était déjà bien en filligrane avec son addiction au  jeu et à l'alcool.

 

Enfin, l'histoire d'amour que va vivre Chocolat et une infirmière, rencontrée au Musée Grévin, va orienter le dernier acte du film. Là aussi, on n'est jamais dans le pathos ou dans le cliché. C'est touche après touche que va se construire l'histoire, une histoire où la jeune femme a d'ailleurs tout à perdre. Veuve d'un médecin, cette relation avec un Africain va l'amener à reconsidérer ses contemporains. Elle devient progressivement une "traînée" puis "la femme au nègre". Là aussi, le film appuie là où cela fait mal et montre clairement que les noirs étaient bien loin d'être considérés à égalité des blancs. Ironie du sort, ils ne le deviendront que 10 ans plus tard dans l'enfer de la première guerre mondiale, la mort se souciant peu de la couleur de peau.

 

Le dernier acte montre la volonté de Chocolat de devenir Rafaël  Padila, de sortir du clown pour être reconnu comme un véritable acteur. Ce besoin de reconnaissance nait de sa rencontre avec un militant noir (rencontré en prison) et est encouragé par sa nouvelle amie. Mais dès qu'il décide de ne plus se comporter comme le "bon nègre", il va aller de désillusion en désillusion. Si le responsable du théâtre Antoine va lui tendre la main, il va dans un premier temps comprendre que l'argent ne sera pas si facilement gagner. Puis que le travail de mémorisation d'un texte est plus compliqué que l'improvisation et la cascade. Enfin, son style de vie, ses dettes de jeu vont le plonger dans une spirale de déchéance. Et s'il va triompher malgré tout des obstacles pour être Othello sur scène, la réaction d'une partie du public sera terrible.

 

Chocolat est plus qu'un très grand film. C'est véritablement un pan entier de notre histoire qui revit. En France, on a trop l'habitude d'oublier les pionniers, mais aussi de laisser de côté les problèmes qui dérangent. Notre cinéma si frileux préfère la comédie inoffensive au fait de regarder notre histoire en face. C'est sans doute pour cela que Chocolat est un véritable évènement. Au delà du chef d'oeuvre (et je ne le dis pas à la légère), c'est un OVNI dans notre paysage qui se profile. Voir que le film ne rencontre pas un triomphe à la Tuche me désole : c'est bel et bien Chocolat qui aurait dû être le carton de ce début d'année.

 

Mais qu'importe : Omar Sy, James Thierree, Roschdy Zem ont oeuvré pour léguer un film magistral. Qu'il fasse 1,2 ou 3 millions d'entrées n'a que peu d'importance finalement puisqu'au final il restera dans la mémoire collective.

 

 

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commentaires

L
Je t'invite a aller voir mon article sur ce film sur mon blog. <br /> J'ai partager à la fin ta chronique.<br /> Personnellement ce fut une belle surprise sans être un coup de coeur que ce film.<br /> Merci de ton avis ^^
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La côte

***** Chef d'oeuvre !!

**** Très bon, allez y vite !!

*** 1/2 * Entre le bon et très bon, quoi...

*** Un bon film

** Moyen, attendez la vidéo

* Comment ai-je pu aller voir ça ??

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