Le pitch : Accusé d'un crime de lèse majesté envers l'occupant romain, Judas Ben Hur est envoyé aux galères par son ami d'enfance , Messala. Il parviendra à revenir à Jérusalem pour assouvir sa vengeance, même si sa rencontre avec un jeune charpentier va radicalement changer sa vie.
Disons le tout de suite, en admirateur du classique de William Wyler, j'attendais avec une très grande apréhension ce remake. Les très mauvais résultats US ne laissaient rien présager de bon non plus et on pouvait même craindre de se retrouver devant l'un des pires films de l'année.
Et pour être tout à fait honnête, étant coincé à Nancy durant une soirée, c'était le seul film qui rentrait dans mon créneau. Au pire, je n'aurai perdu que 2 heures et quelques.
Surprise ! Ce Ben Hur est loin d'être la catastrophe annoncée, bien au contraire. Bien entendu, il ne peut pas faire oublier la prestation de Charlton Heston ou le mysticisme de la version de 1959. Impossible non plus de faire la comparaison avec les incroyables scènes de foules et la course de char de l'original. Mais justement, Timur Bekamentov a choisi une direction différente et, même si la fameuse course (très bien filmée) apparait dès le départ du film avant que celui ci ne reparte dans un long flashback, il ne cherche pas à enterrer le classique (qui était lui même un remake d'un muet de 1925, visible sur l'édition collector Blu-ray sorti il y a quelques années) via une mise en scène "moderne" ou des effets visuels à gogo.
On peut même dire qu'il calme sa façon de filmer pour se mettre au service de l'histoire et non l'inverse. On a bien affaire à une nouvelle interprétation d'un roman (quelque peu indigeste) écrit il y a plus d'un siècle et pas seulement un remake de plus.
D'autant plus que Bekamentov adopte certains paris audacieux comme la bataille navale, quasiment entièrement filmée du point de vue de Ben Hur enchaîné à son banc de rameurs. A la place de majesteux plans larges numériques, on vit donc la confrontation comme le vivait l'esclave ou les sans grades de la marine romaine. Il fallait oser, mais ainsi, la bataille n'en devient que plus brutale.
Evidemment, comme tout peplum récent, Ben Hur se fonde sur un gros travail de reconstitution historique, bien éloigné des images d'Epinal de la grande époque hollywoodienne. Evidemment, les extensions numériques permettent de montrer Jerusalem comme on ne l'a jamais vu, d'éviter le côté "carton pâte" et de donner un côté bien plus réaliste à une vie qui ne devait pas être si facile. Les acteurs font également bien plus "couleur locale" que dans les années 60, où l'Empire romain ne semblait être peuplé que de WASP. Bref, Ben Hur s'ancre dans le cahier des charges mis au goût du jour par Ridley Scott avec Gladiator et devenu une obligation depuis.
Au jeu des différences, on pourra noter que ce n'est pas un patricien romain qui donne sa chance au héros après qu'il l'ait sauvé lors de la bataille navale, mais un riche nomade africain (Morgan Freeman, seul visage vraiment connu du film), que ce ne sont pas la soeur et la mère de Ben Hur qui provoque l'incident lors du passage de Ponce Pilate, que la rivalité entre les deux personnages monte graduellement (elle est quasi immédiate dans le film de 1959) et que le happy end, surprenant, modifie quelque peu la fin de l'histoire, sans aller jusqu'à lui faire prendre une autre direction, non plus.
Mais la plus grosse différence, hormis la modification du destin d'un personnage, est la façon de filmer le Christ. En effet, en 1959, Wyler avait fait le choix de le filmer systématiquement de dos, mais aussi de commencer son film par sa naissance. Le réalisateur russe n'hésite pas à le montrer de face, à le faire parler. Pour la petite histoire, le roman de Lew Wallace était sous titré "Une histoire du Christ". Avoir lu dans une chronique que "rajouter" le Christ était ridicule et ne pouvait que viser le public fondamentaliste m'a montré que certains chroniqueurs devraient se documenter un minimum.
Les destins de Ben Hur et de Jésus sont donc étroitement mêlés. Benkamentov va jusqu'à reprendre l'un des thèmes du film muet. En 1925, Ben Hur réunit une armée pour sauver le Christ lors de sa montée vers le Golgotha, mais ce dernier refuse toute aide, préférant aller vers la mort. Ici, point d'armée, mais une pierre dans la main de Ben Hur, prêt à la lancer sur les tortionnaires romains de Jésus. Celui-ci refusera l'aide et ira vers son destin.
Personnellement, j'ai beaucoup aimé les scènes où le Christ apparaît. Elles sont tournées avec beaucoup de tact et rendent vraiment hommage à l'homme. Les origines russes du réalisateur y sont sans doute pour quelque chose, d'autant plus que le film n'élude pas les miracles réalisés après la mort sur la croix, notamment la guérison de la mère et de la soeur de Ben Hur de la lèpre.
Bien évidemment, la scène la plus attendue est la course de char. Là aussi, surprise, alors qu'on s'attendait à un déferlement numérique, on a droit à une course bien plus "mécanique" qu'attendu. Les différents protagonistes s'expriment dans leur langue et les rebondissements de l'original sont bien là. Il est d'ailleurs assez amusant de voir que cette séquence s'apparente parfois à la course de module de La menace fantôme, ce qui est tout à fait logique vu que Lucas n'a jamais caché son inspiration envers la scène mythique. Bien filmée, bien rythmée, reprenant la dramaturgie classique et la symbolique - dont le sous-titre du film, défier un empire, souligne bien la portée, la course de char est à l'image du film : réussie et spectaculaire, sans jamais tomber dans l'esbrouffe.
On pourra trouver quelques défauts à cette nouvelle version. Le souffle épique est parfois absent et l'histoire peine à démarrer. Les combats de Messala sont trop calqués sur la façon de filmer de ceux de Gladiator, certains dialogues sonnent un peu trop "contemporains" et Messala manque parfois de charisme.
Mais globalement, on a affaire à un bon peplum qui aurait mérité meilleur sort. Il est dommage qu'il ait été surtout jugé à l'aune de son insurpassable aîné, ne pouvant supporter la comparaison. Pour ceux qui n'ont pas vu le classique et qui se seront laissés tenter, peut-être que cet opus deviendra leur version. Mais pour cela, il aurait fallu que le public se déplace un peu plus nombreux.