Quand la VF change le sens d'un film
Cela faisait un bon bout de temps que je désirais vérifier si la fin de L'homme des hautes plaines était modifiée par sa version française. En effet, comme beaucoup, avant l'apparition du DVD, je n'avais vu le western de Clint Eastwood qu'en français. Et la dernière phrase, dans la scène où le nain Mordecaï inscrit le nom du shérif tué à coup de fouet durant les flash backs sur sa pierre tombale, laissait entendre que toute les machinations du héros n'étaient motivées que par la vengeance. Cette phrase est "Prends en bien soin, c'est la tombe de mon frère". Et Mordecaï de regarder Eastwood d'un air ébahi voire effrayé.
Revenons un peu au début de l'histoire. Eastwood, désigné sous le nom de "L'étranger" dans le générique arrive à Lago, petite ville située au bord d'un lac. Cette ville a été le théâtre d'un lynchage quelques années auparavant : le représentant de la loi a été tué sans que les habitants de la ville ne lève le petit doigt. Au contraire, cette mort les arrange car le shérif menaçait leurs intérêts. Mais cela, le spectateur ne l'apprendra qu'au cours du film.
Eastwood montre vite son habileté aux armes et accepte de défendre les villageois, malgré tout le mépris qu'il semble leur porter, contre les trois truands qui ont assassiné le shérif et qui, après un an en prison, ont juré de se venger de la ville. Rapidement, Eastwood va imposer tous ses caprices à Lago, nommant le nain maire et shérif, formant une milice, humiliant les habitants. Sa demande la plus étrange consiste à faire repeindre toute la ville en rouge, ville qu'il rebaptise du nom de Hell (l'enfer).
Et quand les trois truands arrivent, il laisse finalement les habitants à leur triste sort et la ville être ravagée. La lâcheté des villageois éclate à nouveau au grand jour, aucun ne voulant se dresser contre les tueurs.
Finalement, Eastwood va régler son compte aux trois tueurs une fois la ville en flamme. Il sera cependant sauvé par le nain qui empêchera l'un des villageois de l'abattre dans le dos.
Fin de l'histoire donc : Eastwood a vengé son frère des tueurs, mais s'est également vengé de la ville qui n'a rien fait pour empêcher le lynchage.
Sauf que la VO donne une autre version. La phrase que prononce Eastwood quand le nain l'interroge est "Tu le sais" et non "C'est la tombe de mon frère". Ce qui amène fortement à penser que Eastwood est bel et bien le shérif lynché et que, revenu d'entre les morts, il a accompli sa propre vengeance. Du coup, le film prend une autre teneur, un virage fantastique à la Shyamalan. Et la phrase explique alors le visage de Mordecaï qui comprend qu'il a servi un fantôme durant toute l'histoire.
Il paraît incroyable qu'une telle modification ait eu lieu, que l'esprit cartésien du traducteur ait privé durant des années le public français d'une tout autre signification. A l'heure des sorties simultanées, de l'internet, de la VO démocratisée, cette traduction apparaît comme un aspect désuet d'une époque totalement révolue.
Pour le reste, L'homme des hautes plaines reste fidèle à mon souvenir : un western crépusculaire sans concession où le héros n'a que faire de la morale. Bref, un des nombreux chefs d'oeuvre d'Eastwood.