Le pitch : en cherche d'un sujet pour son nouveau roman, Herman Melville va rencontrer un vieux marin , Thomas Nickerson, dont le premier voyage sur un baleinier a été marqué par un drame : le bateau a été coulé par un cachalot blanc et son équipe a dérivé pendant des semaines avant de retrouver la terre ferme.
Ron Howard n'est jamais là où on l'attend. Après avoir décrit la rivalité entre Nikki Lauda et James Hunt et avant de retracer la carrière US des Beatles, le cinéaste s'est donc à nouveau plongé dans la réalité en soulevant un pan méconnu de la littérature américaine : la naissance de ce très grand classique qu'est Moby Dick.
Ayant lu le roman il y a des années (quand j'étais adolescent), j'étais persuadé que l'histoire était sorti de l'imagination de Melville. Ce film m'a montré le contraire. Du coup, je me suis intéressé aux origines du roman. Cette excellente page Wikipédia les résume parfaitement ! Et effectivement, Melville a mélangé plusieurs sources pour son roman, dont le récit écrit d'Owen Chase , héros du film et interprété par Chris Hemsworth. A noter que le mousse Thomas Nickerson écrivit également le récit de son aventure, mais celui-ci ne fut découvert que dans les années 1960.
Melville, qui fut mousse dans la marine marchande rencontra le fils d'Owen Chase qui lui remit le récit de son père.
Un tel sujet ne pouvait qu'inspirer Ron Howard. En effet, le cinéaste adore ses moments d'histoire américaine qui ne sont pas forcément les plus connus ou qui ne représentent pas toujours une réussite. Appolo 13, le duel Nixon/Frost, la vie de John Forbes, la conquête de l'Oklahoma (qui inspira également un album de Lucky Luke) ou les tournées US des Beatles, il s'est souvent plongé dans la re-création d'un petit pan de l'Amérique.
Au coeur de l'océan ne déroge pas à la règle : la reconstitution est minutieuse et les acteurs ont payé de leur personne pour illustrer le lent déclin de leur apparence suite au naufrage de l'Essex, leur amaigrissement, les brûlures du soleil... Le monde des baleiniers de 1820 est également parfaitement rendu et la chronologie du récit permet également à Howard de filmer une scène de chasse où la capture d'un cachalot est décortiqué quasiment minute par minute, y compris dans ses aspects les moins ragoûtants.
Mais au final, la force n'est pas dans des scènes d'action époustouflantes, même si les attaques du cachalot blanc (dont l'existence autour de l'île de Mocha est attestée) sont sacrément impressionnantes ! Le format utilisé par Howard offre d'ailleurs une image plus carré que le cinémascope, ce qui lui permet de composer de superbes plans de la queue du monstrueux cachalot se dressant à la verticale devant des hommes épouvantés par sa puissance. Autre scène choc, une tempête dantesque qui, symboliquement, annonce la catastrophe à venir.
Non, la force est bel et bien dans le récit du naufrage et des actes qui s'ensuivent, notamment le cannibalisme dont se livrèrent les survivants et qui marqua toute leur vie à venir. Reprenant un thème déjà abordé dans Les Survivants de Frank Marshall, Howard en fait, de manière subtile, le point tournant du récit de Nickerson, celui qui explique que pendant des années il refusa d'en parler, y compris à sa femme et qui le fit sombrer dans l'alcoolisme. De ce voyage inaugural, le jeune mousse a connu une virée en enfer et les attaques du cachalot sont finalement moins terribles pour lui que cette obligation de manger ses ex-compagnons.
Mais le film ne se résume pas qu'à un "survival". Comme je l'ai écrit plus haut, le côté grand spectacle n'est pas oublié et Howard se fend de superbes visions maritimes, même si toutes vont dans le même sens : l'homme est minuscule sur l'océan. Plusieurs plans montrent le bateau ou, et c'est encore plus impressionnant, les barques dans une immensité d'eau, le Pacifique sud étant un énorme désert.
Superbes aussi ces scènes sous-marines où évoluent les cétacés. Le "look" du cachalot blanc a été très travaillé et la scène où Chase renonce finalement à le tuer , malgré tous les dégats et morts qu'il a causé, passe uniquement par la force de l'oeil du cétacé.
Enfin, le réalisateur filme un certain nombre de ces scènes à terre à travers le verre des vitres, des bouteilles que Nickerson remplit de maquettes de bateau. Une manière de prendre une distance avec son sujet, mais également de dire que la fiction n'est qu'un reflet déformé de la réalité.
Comme toujours, Ron Howard a su réunir un casting exceptionnel : Chris Hemsworth en tête bien sûr, mais aussi Cillian Murphy, Benjamin Walker, Tom Holland... Chaque acteur donne le meilleur de soi même et Hemsworth, que l'on aurait tort de réduire au seul rôle de Thor y est aussi bon que dans Rush. Il incarne l'âme du film, même si ce n'est pas lui qui en raconte l'histoire. Son opposition avec Benjamin Walker, qui incarne le capitaine du navire est extrêmement bien rendue et c'est finalement sur leur dernière scène commune que le Pollard va comprendre les motivations de Chase, ce qui lui donnera le courage de dire la vérité devant la commission baleinière.
Les deux heures du métrage passent sans aucun temps morts et Ron Howard a parfaitement réussi son pari. Il est donc dommage que Au coeur de l'Océan n'ait pas rencontré son public : à peine 93 millions de recettes mondiales pour un budget de 100. Et l'édition vidéo n'a pas été un triomphe non plus. Espérons juste que le temps lui offrira le succès qu'il mérite.