Le pitch : alors que
la France s'apprête à ré-élire François Mitterrand, la Nouvelle Calédonie est le théâtre d'une prise d'otage dont l'issue tragique aurait largement pu être évitée.
Telle est donc la théorie de Mathieu Kassovitz, enfant terrible du cinéma français (et dont je n'approuve pas les prises de positions politiques -
son "Virez les fils de pute de l'UMP" n'en fait pas un démocrate) dans ce film boudé par le public mais largement supérieur à toute la production tricolore de 2011 (et au delà !).
En prenant comme sujet un fait divers oublié aujourd'hui mais qui reste quand même dans la mémoire de ceux qui l'ont vécu (et j'en fait partie ,
même si je n'avais que 19 ans à l'époque), Kassovitz a pris un risque considérable. Celui de faire ressurgir des blessures mal cicatrisées. Mais aussi celui de faire un film polémique en pleine
pré-campagne électorale. Le camouflet infligé par le public et la critique, ainsi que les professionnels (rien aux Césars, si ce n'est une nomination tecnhnique) montre le fossé qui s'est
brusquement creusé entre l'acteur-réalisateur et son pays. Il est vrai que sa volonté de réussir aussi aux USA (Gothika, Babylon AD) a brouillé son image. Celui qui passait pour un réalisateur
social avec Métisse et la Haine avait déjà frappé un grand coup avec le prodigieux Assassin(s), sans doute son meilleur film. Il avait enfoncé le clou avec Les rivières pourpres qui, malgré ces
défauts, montraient qu'en France aussi, on pouvait faire des thrillers sombres et bien burnés. Du coup, l'establishment ne savait plus où le situer : cinéaste engagé ? cinéaste pop corn ?
cinéaste touche à tout...
Après l'échec de Babylon A.D. (qui est tout de même rentré dans ses frais avec 72 millions de recettes contre 70 de budget), Kassovitz a voulu
revenir à ce projet qu'il portait depuis 10 ans ! Il a donc dû batailler pour imposer le film et se démarquer d'une production française qui fait plus dans le projet consensuel que dans le coup
de poing "in your face" ! Il est d'ailleurs amusant de voir que seul un magazine brut de décoffrage comme Impact est fait un véritable article sur L'ordre et la morale !
Car au delà de la théorie développée (qui repose sur le livre du captaine Legorjus), Kassovitz a déjà réalisé un film à l'action totalement
maîtrisée, dans la lignée des grands films d'Yves Boisset des 70's ou des films politiques à la I comme Icare (dont j'espère toujours une réédition Blu-Ray !). Sa maîtrise technique est toujours
sans défaut, une qualité de plus en plus rare en France. L'ordre et la morale n'est pas un téléfilm mais bel et bien un objet cinématographique !! Le réalisateur se paye même le luxe de citer
Apocalypse Now dans deux plans o ù le capitaine du GIGN est dans sa chambre et qui renvoie directement au tout début du chef d'oeuvre de Coppola.
Mais ce qui rend le film passionnant, en dehors des deux morceaux de bravoures qui ouvrent et ferment le film, ainsi que le flashback sur
l'enlèvement des gendarmes, c'est bien entendu la précision infernale de la tragédie à venir, la façon dont Legorjus se trouve piégé par raison d'état, mais piégé aussi entre sa volonté de faire
son travail (libérer les otages par la négociations) et l'admiration croissante qu'il porte à Alphonse, leader des Kanaks qui ont perpétué l'enlèvement et dépassé par la situation. Ce dernier est
coincé entre son code d'honneur, sa volonté indépendantiste et son désir que ces hommes, tous pères de familles, ne subissent pas le coût de ses erreurs.
Contrairement à ce que j'ai pu lire, il n'y a pas de manichéisme dans ce film. Les militaires entendent faire leur travail et ne se considèrent que
comme des rouages d'une institution. Comme le disait Chevènement "Un ministre, ça ferme sa gueule ou ça démissionne", cette maxime s'avère parfaite pour les protagonistes de l'affaire. Et même
Legorjus, quand il se rend compte qu'il ne pourra pas éviter l'assaut, qu'il est même lâché par Prouteau, créateur du GIGN et homme de l'ombre de l'Elysée (il sera partie prenante dans la
"protection" de famille adultérine de Mitterrand), doit lui aussi se résoudre à obéir. La démission, ce sera pour plus tard.
On se doute bien que les sympathies de Kassovitz va aux indépendantistes, dépeints ici comme des hommes normaux, mais dépassés par les évènements.
Cependant le réalisateur n'en égratine pas moins les leaders du FLNKS qui ne se mouillèrent pas vraiment à l'époque pour sauver leurs "frères d'armes" . Djibaou en paiera d'ailleurs le prix un an
plus tard. S'il est critique envers les politiciens de l'époque, il évite également la caricature. Même Pons apparaît moins froid que l'image qu'on a de lui. Ce dernier n'a d'ailleurs pas été
tendre avec le film. il est vrai qu'il a vécu les évènements de l'intérieur et que son sentiment est fort différent de celui de Legorjus. C'est d'ailleurs cette volonté de ne pas prendre partie
de manière manichéenne qui rend le film passionnant. Kassovitz déroule un film chronologique, met en scène tous les protagonistes de la scène et inscrit la tragédie dans un cadre plus vaste,
celui d'une cohabitation où la haine était à fleur de peau.
On peut bien entendu critiquer la position du film qui ne se base, finalement, que sur un seul point de vue. En histoire, on prend toujours
plusieurs témoignages. Mais Kassovtiz ayant réalisé un film politique, il ne s'agissait pas de faire de l'eau tiède. Il a des idées, qui ne sont pas les miennes, et il les expose sur grand
écran.
C'est sans doute cela qui a dérangé. Qu'on ose faire un film politique, un vrai. Pas un pseudo pamphlet comme La conquête ou un truc vaguement
hagiographique comme Le promeneur du Champ de mars, honteux révisionisme visant à réhabiliter Mitterrand ! L'ordre et la morale contient tout dans son titre et fait comprendre que, selon le
réalisateur, il n'est pas sûr que les deux termes soient vraiment synonymes.
Le film s'est planté en salle et je gage qu'il ne sera pas un succès en vidéo non plus. Dommage ! Car le public va passer à côté d'un long métrage
extraordinaire de maîtrise et dont la portée politique ouvre la porte à de fabuleuses polémiques !
A l'heure où la France va (peut-être) changer de président, il n'est pas inutile de se dire que parfois le destin d'une nation se joue loin de ses
bases !