Le pitch : alors que la crise de Cuba plonge l'Amérique dans la peur, un cinéma de Floride se prépare à accueillir Mant, un film d'épouvante surfant sur la peur de la bombe atomique.
Joe Dante est un grand cinéaste , mais hélas, le grand public ne le sait pas. Il a pourtant offert Piranha, Hurlement, Gremlins, Explorers, L'aventure intérieure mais n'a jamais réussi à passer le cap du "faiseur de série B" malgré ses collaborations avec Spielberg (la première fut le sketch de La 4e dimension). Malgré toutes ses qualités, malgré une filmographie suivant l'amour du cinéma, Joe Dante n'a pas réussi à passer ce plafond de verre qui sépare le bon cinéaste du cinéaste qui compte. Et ce n'est pas de sa faute, je le rappelle.
En 1993, Joe Dante est quelque peu au creux de la vague. Les banlieusards n'a pas fonctionné et Gremlins 2 ne parvient pas à réitérer la magie du premier. Il se lance donc à corps perdu dans un film qui serait presque autobiographique ou en tout cas, qui est une déclaration d'amour à tout un pan de cinéma perdu, celui où les réalisateurs tentaient le tout pour le tout pour ramener le spectateur dans les salles - concurrence de la télévision oblige - et où les films de monstres sentaient bon les costumes en latex et les effets spéciaux à l'ancienne.
En situant son histoire durant la crise de Cuba, Joe Dante désigne clairement une période où l'Amérique a commencé à perdre son innocence. Kennedy était toujours vivant, la guerre au Vietnam n'avait pas encore pris de l'ampleur et les scandales politiques majeurs n'avaient pas encore éclaté. C'est donc une société quasi idéale qui est montrée, avec des salles de cinémas à deux étages (balcon et orchestre), des jeunes filles en robes blanches, des garçons bien coiffés, même si l'un d'entre eux porte un blouson noir et le mauvais rôle... Bref, toute l'imagerie du début des sixties.
Et à partir d'une trame minimaliste (on va projeter un film d'horreur dans un cinéma de Floride) , Joe Dante entremêle énormément de chose : la crise de Cuba bien sûr, les peurs d'une famille vis à vis du père militaire en poste au large de l'île, la paranoïa atomique du gérant du cinéma qui va jusqu'à se construire un abri anti atomique dans le sous sol de son établissement, mais aussi les "inventions" délirantes pour marquer le spectateur lors du film, la vie sur une petite base militaire, sans oublier le film Mant, en noir et blanc dont nous pouvons voir de larges extraits en même temps que les spectateurs du film.
Et comme si cela ne suffisait pas, Joe Dante s'intéresse aussi à la découverte de l'amour par son casting adolescent. Ainsi la très belle histoire entre Gene et Sandra est finement amenée. Gene est le fils d'un militaire présent au coeur de la crise, Sandra est la fille d'une famille atypique et contestataire. Elle est interprétée par Lisa Jakub qu'on avait pu voir ado dans Mme Doubtfire et ID4. La naissance de leur histoire se fera évidemment lors de la vision de Mant.
En fait, les jeunes acteurs sont les vrais vedettes du film, même si c'est John Goodman, en producteur/réalisateur quelque peu magouilleur qui est mis en avant par la promotion du film dans le rôle de Laurence Woosley, un décalque évident de William Castle. Ce dernier était un as pour assurer la promotion de ses films par des procédés physiques loufoques ou pour la publicité faite autour. Ainsi, il eut l'idée de faire signer une décharge au spectateur s'il venait à mourir de peur durant la vision d'un de ses métrages. Cette anecdote est d'ailleurs repris dans Panic sur Florida Beach.
Joe Dante divise son histoire en deux parties. La première voit la montée en parallèle de la crise (les gens qui pillent les supermarchés, les exercices d'alerte au lycée, les images d'actualités qui passent en boucle à la télé) et l'installation des bricolages qui vont permettre de "surprendre" le spectateur durant le film. On y rencontre tous les protagonistes de l'histoire et les liens qui vont se tisser puis justifier l'action de la 2e partie.
Puis le film oblique sur la vision en salle de Mant et les conséquence que cela va avoir sur la vie de chacun : Woosley tient son triomphe, Howard le gérant du cinéma croit que les multiples interventions physiques (sièges qui vibrent, explosion de sucre...) sont les prémices de la guerre qui démarre, Sandra et Gene vont tomber amoureux et le "voyou" chargé de lancer les animations va, par son incompétence et sa jalousie, faillir mettre en l'air le beau plan marketing de Woosley.
Le film projeté est à lui seul un hommage à tous les monsters movies des années 50. Joe Dante ira jusqu'à employer des acteurs de films de genre de ces années. Naïf, gorgé de dialogues grandiloquents , truffés d'effets visuels physiques (n'oublions pas qu'en 93, la révolution induite par Jurassic Park n'en est qu'à ses début) et très old school, Mant est à la fois une caricature et un tendre regard sur tout un pan de cinéma B (voire Z), jusqu'à l'inévitable chute qui montre que le monstre n'est jamais vraiment mort.
Panic sur Florida Beach fut un échec cuisant à sa sortie : à peine 10 millions de dollars de recettes aux USA et même pas 50 000 spectateurs en France et malgré des critiques très positives. Le blu-ray qui lui sert désormais de support est donc la seule façon de le découvrir et de se rappeler que , oui, Joe Dante est un très grand cinéaste et qu'on ne peut que regretter que, tout comme John Landis ou John Carpenter, il se fasse désormais si rare sur nos écrans.