Enfin, le voilà, ce monumental Pearl Harbor, ce film qui veut être au film de guerre ce que Titanic fut au film catastrophe. Enfin, on peut le voir, le revoir, l'admirer. Enfin , on peut apprécier le pas énorme fait par Michael Bay. James Cameron s'étant, hélas, mis en grève cinématographique, par faute de projets pouvant satisfaire son génie, Bay a décidé de combler le trou béant créé par l'absence du créateur de Terminator. Alors, et au risque de me faire assaillir d'injures, je le clame haut et fort : oui Cameron a trouvé son successeur. Le reste ne sera que détails.
Pearl Harbor met en scène 2 as de l'aviation américaine qui vont voir leur vie se mêler à l'Histoire, à savoir la seconde guerre mondiale et l'attaque surprise de Pearl Harbor. Afin de bien montrer l'impact d'un événement planétaire sur la destinée d'un individu , et comme c'est la coutume depuis un bon paquet de décennies , le scénario fait la part belle (un peu trop selon certain mais nous y reviendrons plus loin) à une histoire d'amour triangulaire. Evelyne aime Rafe mais ce dernier disparaît au combat. Evelyne tombera alors dans les bras de Dany . Mais le retour de Rafe va brouiller les cartes et l'attaque japonaise achèvera de semer la confusion.
Michael Bay, jusqu'ici , a surtout été remarqué pour deux choses : un montage très cut, parfois à la limite du compréhensible mais donnant une puissance inouïe à ses films et une esthétique poussée dans ses derniers retranchements. Chaque image se doit d'être belle et sexy. Bay se sert alors de tous les artifices qu'il a appris à utiliser sur le tournage de centaines de pubs et de clips. Le résultat, des film aussi détonnant que Bad Boys (un Buddy Movie au scénario stupide mais véritablement entraînant , avec un Will Smith encore peu connu) , Rock (stupéfiante démonstration du savoir faire US en matière de film d'action) ou Armagueddon (extraordinaire morceau de SF, porté par les épaules de Bruce Willis et où le souffle épique permet de faire oublier les erreurs du scénario). Bien évidemment, le bonhomme n'a pas que des amis : on lui reproche son esthétique clippée, son montage, son obsession de l'image au détriment de l'intrigue, le manque d'épaisseur de ses personnages (accusation grotesque mais bon) , un patriotisme exarcerbé , une apologie de la beauferie... N'en jetez plus la coupe est pleine.
Mais Michael Bay n'en a cure. Extremement cru avec ses concurrents (voir ses propos sur Deep Impact), le gars sait qu'il est doué et ne s'en cache pas. On put lire il y a quelques années "ce type a un plan". Hé oui, Bay a un plan. A mon avis, sans doute celui de devenir le meilleur réalisateur du monde, ou quelque chose dans ce genre. Car avec Bay, pas de demi-mesure. Tout doit être grand, racé, beau et osons le mégalomane. Avec l'appui de Jerry Bruckeimer, qui n'est pas vraiment le genre de producteur à s'appuyer sur le Dogme, on est sûr d'une chose : le spectacle sera total.
Avec Pearl Harbor, Bay franchit un nouveau pas. Avec Bad Boys, il montrait qu'il savait faire de la mise en scène. Avec Rock, il montrait qu'il savait diriger des stars et les pousser dans leurs derniers retranchements (Cage a-t-il fait mieux en matière d'action ? Connery n'a-t-il pas trouvé là l'occasion de rappeler à la terre entière qu'il fut 007 ? Harris n'a-t-il pas réussi à camper le méchant le plus crédible et le plus froid de ces 10 dernières années, sans se cacher derrière l'attitude cool de circonstance ?) Avec Armagueddon, il montrait qu'en matière de SF couillue , il était aussi capable qu'un Lucas ou un Cameron. Pearl Harbor est pour Bay la première occasion de montrer qu'il sait aussi intégrer un trame variablement intéressante (le seul maillon faible de l'histoire) à la grande Histoire.
Car , et même si la love story est un peu décevante (mais jamais mièvre), Bay filme ses couples avec une grâce infinie. Les femmes sont belles , merveilleusement éclairées. J'ose la comparaison mais leur glamour rappelle les splendides héroïnes de ces fabuleux spectacles en technicolor des années 40 et 50. Et la maestria de Bay permet de faire passer en douceur ce qui aurait pu être un écueil énorme. Car il faut tout de même attendre 90 minutes avant la fameuse attaque.
Bay a donc dompté sa caméra et reconstitue sa vision de l'Amérique des années 40 (et même 20 dans les splendides scènes d'ouverture) : belle , colorée, insouciante. Plus dure sera la chute. Bien sûr, la présence de Ben Affleck ne peut que l'aider. L'acteur apporte au film la touche masculine indispensable à tout mélo. Kate Beckindale illumine l'histoire par son sourire. En retrait (mais c'est dans la logique du rôle) Josh Harnett est le complément de Affleck et finalement le moteur de l'histoire. Peu de choses à dire donc sur cet aspect des choses même si l'on peut regretter que la partie romantique n'ait pas été plus étoffée. Cependant, si elle l'avait été, sans doute cela aurait été fait au détriment de l'action, donc....
Mais dès que le film s'aventure dans la guerre, Bay redevient le magicien qu'il a toujours été. Avec un atout supplémentaire : son montage est désormais maîtrisé. Les scènes de préparation de l'attaque par les Japonais sont des modèles : en quelques images, on plonge dans les pensées des généraux , on comprend la logique de l'opération et on visualise la future tactique. Magistrale !!
L'attaque est assurément le morceau d'anthologie. Un maelstrom d'images furieuses, de scènes à couper le souffle, d'idées absolument géniales (la caméra qui suit la bombe, les torpilles fonçant sous les pieds des marins). Bay reconstitue la furie d'une attaque lâche mais nécessaire dans l'esprit japonais. Et la bravoure de Rafe et Dany ne peut empêcher ce ballet meurtrier. Comme c'est le cas depuis plusieurs années , la mort est montrée en face et l'image la plus marquante est celle de ce caméraman fauché en pleine course mais dont la caméra continue à filmer. Durant cette quarantaine de minutes, Bay démontre que , oui , il est bien l'un des meilleurs réalisateurs de la planète, aidé en cela par des effets visuels extraordinaire, un casting de second rôle béton (Cuba Gooning Jr, Tom Sizemore..) et la musique de Hans Zimmer. Le chaos dans l'hôpital contraste avec la douceur de la première partie. Bref, une réussite totale , absolue, incontournable.
Mais Pearl Harbor ne pouvait se conclure sur une note pessimiste. L'amiral japonais murmure "Je crois que nous avons réveillé un géant" (la même phrase était prononcé dans Tora, Tora, Tora). Et oui, le géant se réveille. La dernière phase du film va donc s'employer à dénouer tous les dilemmes en montrant le raid sur Tokyo du général Dolittle. Là aussi, les morceaux d'anthologie se succèdent et Bay refuse de laisser s'envoler le souffle épique du film. Et au bout de 3h00 de projection, on reste anéanti dans son fauteuil , oubliant les défauts du film pour n'en retenir que les impressions les meilleurs.
Bay a réussi son plan. Pearl Harbor est certes un blockbuster, un parfait film de studio mais il transcende son existence commerciale par la volonté de livrer un spectacle total. Bay a puisé son inspiration chez Cameron et Lean. Il ne les a pas égalé (pas encore) mais a montré que , vraiment , s'il fallait chercher un héritier , il n'y a décidément que lui pour réussir le mariage entre l'esthétisme, la puissance, l'image et l'histoire. Et si l'on ajoute que Pearl Harbor n'est que le 4eme film de Bay, on ne peut que rester pantois devant cette réussite.