Le pitch : les 12
dernières heures du Christ, de son arrestation à sa résurrection.
Voilà tout simplement le premier choc de 2004. Un film tellement hanté par la foi et imprégné de son propos jusqu'au boutiste qu'une simple analyse ne suffit pas. Peut-être est-il manipulateur (sans doute) ? Peut-être que la mise en scène de Mel Gibson, ne s'interdisant aucun écart, gros plan, ralenti, musique n'est là que pour nous amener à un endroit que l'on n'aurait sans doute pas recherché ? Mais le fait est là : La passion du Christ est un film bouleversant, à mille lieux des polémiques déclenchées ces dernières semaines. Et s'il ne change pas ma position sur la religion, il m'a rappelé combien un message de paix pouvait être foulé au pied par les hommes et combien ces mêmes hommes pouvaient se comporter de manière barbare.
La passion du Christ n'est pas un film antisémite à mon avis. Tout le monde sait que Jésus était juif. Et qu'il a été condamné par une partie de ses pairs, notamment les Pharisiens. Par exemple, Luc écrit "A ces paroles, tous dans la synagogue furent remplis de fureur et ils le (Jésus) chassèrent de la ville". Sur ce point, le script est d'un grand respect aux 4 évangiles. Le dilemme de Ponce Pilate, le comportement d'Hérode, la libération de Barabbas, la demande de la foule pour qu'on le crucifie : tous ces éléments sont dans les Evangiles. Même la ruine du temple est annoncée par Mathieu. Ceux qui estiment que Gibson arrange la vérité devraient relire le nouveau Testament. Vatican II a estimé que les juifs n'étaient en rien un peuple déicide. Et le film de Gibson ne contredit jamais cette affirmation. Il montre une foule hostile, manipulée par Satan mais aussi des gens terrassés par le chagrin. Car, en se proclamant Fils de Dieu, Jésus créait le scandale, aux yeux des grands prêtres, soucieux de leur autorité sur le peuple de Palestine. Logique que l'on ait cherché à le tuer. Gibson filme en fait un procès politique et non un manifeste fasciste comme a osé l'écrire Martin Karmitz. Autre élément, il a été dit à la radio qu'une scène montrait des juifs fabriquer la croix. Or, je n'ai pas vu cette scène. Intox ? De l'autre côté" de l'Atlantique aussi, ce point a été mis en exergue, certains allant jusqu'à comparer La passion aux films de propagandes nazies de l'Allemagne Hitlérienne. À ce propos, la propagande était surtout à base d'affiche et de slogan en Allemagne. La France a plus utilisé le média cinéma pour justifier la collaboration.
La passion du Christ n'est pas non plus un film violent. Certes, la flagellation y est extrêmement dure et les images ne nous épargnent rien du calvaire de Jésus. Mais de l'aveu de Gibson, il s'agit de réveiller les consciences des Chrétiens et de rappeler combien le Christ avait souffert. Pour un Chrétien, Jésus meurt sur la croix pour racheter l'humanité aux yeux de son père. En montrant sa souffrance, la montée vers le Golgotha, Gibson entend dire que ce ne fut pas une partie de plaisir mais pose aussi la question qui peut déranger : qui aurait vraiment pu endurer de telles souffrances pour les autres ? Alors, oui, les gros plans sur les plaies peuvent choquer. Le réalisme du calvaire peut choquer. Mais soyons honnêtes, le film aurait-il eut cet impact sans ces images choquantes ? Au-delà d'un débat sur le voyeurisme (personne ne m'a obligé à aller le voir et j'étais prévenu de l'aspect brutal) , il me semble que la télévision nous montre régulièrement et sans avertissement des images encore plus choquantes.
Il est clair également que, pour quelqu'un que les questions de religion n'intéressent pas, le film perd beaucoup de son intérêt. En tournant en Araméen et en latin, en choisissant de ne pas expliquer le contexte (pas de scènes d'exposition, juste quelque flash-back sur la vie de Jésus avant le jour fatidique) , Gibson entend sans doute obliger le néophyte à se plonger dans les Ecritures et à tenter de comprendre ce qui est suggéré à l'écran. Film pédagogique en fait, ce qui a également déclenché des critiques assez dures en France. SFX a parlé de catéchisme light. Pourquoi pas ? Mais le film n'a pas pour but de raconter la vie de Jésus (d'autres l'ont déjà fait) mais bel et bien de décrire un calvaire.
Mel Gibson, en chrétien convaincu (intégriste ? ) mais également en cinéaste jusqu'au boutiste (rappelez vous Braveheart) ne s'est pas laissé dominer par les limites et le politiquement correct. Le point le plus choquant du film est peut-être même de faire de Satan une femme présente derrière tous les actes barbares de l'humanité. En montrant le combat entre le bien et le mal, le cinéaste énonce peut-être une vérité simpliste, mais il est indéniable que le cinéma étant manichéen, le film ne pouvait échapper à cet aspect. Toutefois, afin de briser l'aspect linéaire du récit, Gibson se permet quelque flash-back. Ces séquences aèrent l'histoire et permettent de rompre le calvaire (en clair, le spectateur peut reprendre sa respiration). Elles éclairent aussi quelques points qui pourraient paraître obscurs pour le néophyte. Le métier de charpentier du Christ, sa rencontre avec Marie Madeleine sur le point d'être lapidée (comme quoi, cette pratique barbare n'est pas l'apanage de quelques imans intégristes), le dernier repas, la mise en garde à Pierre. L'un des flash-back, particulièrement émouvant, voit Marie aller chercher son fils, enfant, tombé à terre comme le ferait n'importe quelle mère. Cette séquence est montée en parallèle avec la chute du Christ, pliant sous le poids de la croix et Marie se précipitant vers lui.
Le calvaire respecte là aussi particulièrement les Evangiles : la rencontre avec Simon, les deux larrons, les phrases du Christ, la mort et la mise au tombeau. Mais là aussi, Gibson ose des images totalement folles comme ce plan mettant directement Dieu en scène et où il laisse perler une larme dévastatrice.Et bien évidemment, le plan final de la résurrection. En terminant ce film, le cinéaste va donc à l'encontre de tout le pessimisme du métrage. Fin logique pour un film chrétien qui le revendique totalement.
Sur un plan cinématographique, le film n'évite pas certains écueils (trop de ralentis et une musique un peu trop omniprésente) mais là aussi, Gibson va jusqu'au bout de son propos. Il met au service de son but (remplir les églises, réveiller les Chrétiens) toutes les techniques de manipulation du cinéma. Dans ce sens, La passion du Christ est un vrai film de propagande. Mais à la différence de beaucoup, il énonce clairement son but et ne cache pas derrière des symboles ou des images. Enfin, en réunissant une troupe d'acteurs venant de pays différents, il affirme aussi son propos œcuménique. Tout se tient et l’on peut vraiment parler d'oeuvre habitée. Ensuite , tout n'est que question de foi.
Les fausses polémiques autour du film auront au moins permis d'écarter les voyeurs ou ceux que la religion indispose. Reste que le succès mondial du film (pas loin de 600 millions pour le moment) montre bien que le regain d'intérêt pour la religion ne soit pas qu'un phénomène passager.
Qui dit film historique dit reconstitution. Ici, un énorme travail a été effectué par une équipe internationale tant au niveau des décors que des costumes ainsi que du travail sur la langue. La gageure de sous-titrer le film est également un aspect du jusqu'au boutisme de Gibson (qui mine de rien reprend une des idées de Stargate à savoir des ET ne parlant pas anglais). Tous ces éléments auraient pu couler le film. Il n'en a rien été.
Film passionnant, oeuvre habitée, film coup de poing, film pédagogique... On peut décliner les étiquettes. Gibson a réussi son pari : faire parler de la passion. Que l'on aime ou que l'on déteste le film n'a finalement que peu d'intérêt. Pour ma part, j'y ai vu un film habité par un message fort mais simple : pardonnez nous nos offenses comme nous pardonnons à ceux qui nous offensés.