L'ancien SOI regorgeait de chroniques, faites entre 2001 et 2007. Elles vont donc être ré-éditées sur le SOI actuel !!Ne vous étonnez donc pas d'y
voir des références passées.
La franchise étant le moteur de Salla, force est de reconnaître que le rap n'est pas vraiment ma tasse de thé. A la tchatche , parfois puérile, des rappeurs, je préfère la noirceur et la puissance du black et du death metal. De plus, les déclarations homophobes et sexistes d'Eminem, même si l'on peut penser qu'il s'agit plus de coups de pub (le scandale fait toujours vendre), ne me renvoyaient pas vraiment une image sympathique du personnage. Enfin, les clichés du rap (gangster attitude, grosses bagnoles, filles réduits à l'état d'objets sexuels) ne font pas vraiment partie de mon univers. J'abordais donc 8 miles avec un certain mélange de curiosité et de dédain, n'y voyant qu'une biopic de plus à la gloire d'une star de la chanson, à la manière de Crossroads avec Britney Spears. Grossière erreur.
Car 8 Mile est assurément une des bonnes surprise . Car loin de se lier aux clichés les plus éculés du rap, le film ne fait que raconter une semaine dans la vie de quelques paumés avides de musique. Une bande de (plus ou moins) jeunes qui aimeraient s'en sortir mais qui en fait accepte de continuer à glander en espérant qu'une hypothétique bonne fée daigne se pencher sur eux.
La première chose qui m'ait donné envie de voir 8 Mile est Curtis Hanson. le réalisateur de LA Confidential n'étant pas un yes man, on pouvait décemment penser que l'on aurait pas affaire à un film cirage de pompes pour chanteur mégalo. Deuxième aspect positif , la présence de Kim Basinger, actrice sous-estimée et qui est passée à côté d'une carrière extraordinaire. Troisième chose, un examen attentif de la BO montre qu'Eminem ne chante qu'une seule des chansons du film (celle du générique de fin) , 8 Mile n'est donc pas qu'un véhicule pour la star. Enfin, dernier point, le surf sur les différents sites US insistait tous sur la vraie performance d'acteur du rappeur. La curiosité a fait le reste.
8 Mile est un excellent film, joué par des acteurs au diapason de leur rôle. Hanson n'a pas axé son film sur le rap mais plutôt sur la culture hip hop et sur son implication dans l'art de la rue. On l'a trop souvent oublié mais le hip hop, né au début des 80's avec des artistes comme AfriKaa BenBata (orthographe à confirmer, cela fait un bout de temps que je n'ai pas eu l'occasion d'écrire ce nom) ou Grand Master Flash , est un art urbain. Il a entrainé avec lui toute une réaction à l'art et à la musique "officielle". Fini la frime des rock stars et place à la spontanéité et à la générosité d'artistes se débrouillant avec les moyens du bord !! Hélas, comme toute révolution, le hip hop est récupéré par le commerce et devient vite sa propre caricature. 8 Mile parvient à atteindre l'exploit de rendre compte du bouillonnement créatif d'un art débarassé de ses oripeaux. Les batailles de rap, filmées comme des combats de boxe, nous plonge directement au coeur de la musique . Certes , la première tourne court vu que Rabbit (le nom d'Eminem dans le film) ne parvient pas à dire un mot mais celle qui ferme le film est un modèle du genre.
D'autres moments de rap émaillent le film, dont d'extraordinaires joutes verbales sans musiques mais , et c'est peut être ce point qui a déçu des spectateurs, sans non plus faire de 8 mile un film musical. Le rap n'est qu'un élément dans la vie des personnages du film. Hanson préfère s'intéresser aux petites magouilles des personnages, à leurs distractions plutôt limitées. Aucun des personnages ne brillent vraiment par son comportement . Les uns sont vénaux, les autres sont naïfs, d'autres encore jouent sur plusieurs tableaux au risque de tout perdre. Même le personnage d'Eminem va mettre du temps à se trouver, à accepter son rôle. Le film est donc plus une chronique qu'un film à la gloire du hip hop. Le slogan "Chaque instant est une opportunité" est un excellent résumé de l'histoire. C'est en saisissant sa chance que Rabbit parviendra à faire avancer sa vie. Mais là aussi, rien à voir avec le culte de la réussite que nous montre si souvent les films US.
L'arrière plan social est sans doute plus important. Rabbit vit avec sa mère, qu'il ne supporte pas, son beau père qu'il déteste, et sa soeur qu'il adore. La médiocrité intellectuelle de la famille (on ne voit jamais sa soeur aller à l'école) est encore renforcé par les lieux où elle vit , une caravane crasseuse perdue dans un sorte de camping pour gens pauvres. Hanson aime montrer la face cachée de l'Amérique, opposée à celle des strass et de l'argent. Le film n'en rajoute pas trop dans cette voie , ce qui lui évite de tomber dans le misérabilisme. Les scènes montrant Rabbit au travail participent de cette atmosphère et accentuent la volonté du héros de s'évader de ce quotidien. Cependant, il lui faudra passer par beaucoup d'humiliation avant de réagir et même une fois vainqueur, il doit replonger vers cette vie terne.
On a beaucoup écrit que 8 Mile était plus ou moins la vie d'Eminem. Il est vrai que pas mal de similitudes sont troublantes. Cela dit, le film n'est pas une biopic mais bel et bien 8 jours dans la vie d'un jeune rappeur qui aspire à une vie meilleure, mais sans vraiment savoir comment l'obtenir. C'est sans doute cela la force du film : chercher à s'adresser à tout plutôt que de cibler une catégorie de personnes.