Le pitch :
un jeune amérindien , Pattes-de-jaguar, va être pris dans la folie meurtrière qui animait les derniers mayas...
Premier choc de l'année 2007, Apocalypto prouve, une fois de plus, que Mel Gibson est décidément incontrôlable. Après avoir rencontré un succès mondial foudroyant avec sa très controversée Passion du Christ, il met ici à mal bons nombres de clichés tout en offrant aux spectateurs qui auront le courage d'affronter le film un incroyable épopée d'aventures dans un univers peu exploré au cinéma : les civilisations pré-colombiennes.
D'emblée, Gibson nous plonge dans un monde plutôt hostile. Les dialogues en Yucatèque n'arrangent d'ailleurs rien. Mais la toute première partie du métrage se concentre sur une communauté à l'humour décapant, vivant au jour le jour mais respectueuse de ses traditions. La notion de famille, chère au réalisateur, est d'ailleurs ici mise en avant. Pattes de jaguar, le héros, est un mari aimant, un père modèle et attentif à sa femme enceinte. Le village nous est également montré comme une grande famille où l'on rit au dépend d'un de ses habitants, dont les démêlés avec sa belle mère font le délice de la communauté.
Mais cette paix est troublée par une étrange rencontre , celles de fuyards dont la peur se lit sur le visage. Le spectateur sait qui est l'ennemi mais Pattes-de-Jaguar l'ignore tout comme il ignore finalement tout ce qui est étranger à son village.
La quiétude troublée par le monde extérieur , là aussi, un thème typique du cinéma d'aventure. Sauf que là , le héros ne va partir sauver une princesse ou bien se découvrir lui même : il va être confronté à la barbarie d'une civilisation à l'agonie.
L'attaque du village par les "envahisseurs" est aussi brutale qu'une attaque extra-terrestre. Les agresseurs ont beau parler la même langue, ils se comportent comme des animaux : pillages, viols, meurtres. Gibson ose dire que , contrairement à la croyance répandue, les civilisations pré-colombiennes étaient capable de la même sauvagerie que les Européens. Un sacré pavé dans la mare du politiquement correct. Pour infos, la revue L'histoire a publié un dossier très complet sur les sacrifices humains chez les Mayas l'an dernier. De quoi balayer les dernières réticences.
Apocalypto bascule dans la violence mais au final, Gibson se fait moins voyeur que dans La passion du Christ. Le propos n'est pas le même de toutes façons. En 2004, l'acteur réalisateur voulait faire partager la souffrance d'un homme. Ici, cette violence fait partie intégrante de l'histoire.
Alors que Pattes-de-jaguar a tout juste le temps de mettre sa famille à l'abri, son village se voit donc réduit à l'esclavage et lui même est emmené comme captif . Sa route sera longue et il aura le temps de se faire plusieurs ennemis parmi les brutes qui le traînent comme un chien.
L'occasion également de filmer de superbes paysages que l'on sent irrémédiablement salis par ces hordes barbares. Gibson en rajoute dans la provocation en montrant des Mayas déforester à tout va, n'importe comment (là aussi, un fait avéré , même si l'exemple ultime est plutôt les habitants de l'île de Pâques).
Mais c'est la plongée dans la folie des sacrifices qui est de loin la plus impressionnante du film. Tout est fait pour que nous nous sentions mal à l'aise : la foule hurlante n'a rien à envier aux rassemblements de Nuremberg , la décadence est partout, les couleurs de film se font de plus en plus violente. Traités comme des animaux en route vers l'abattoir, Pattes de Jaguar et ses compagnons découvrent horrifiés pourquoi on les a capturé : les têtes roulent, le grand prête arrache les coeurs des poitrines, le sang ruissèle... Une horreur absolue mais que, contrairement à ce que disent ses détracteurs, Gibson filme de manière plutôt soft. Ceux qui espéraient des éventrations en gros plan seront sans doute déçus.
On sait que certaines cérémonies au Soleil ont "utilisé" plus de 20 000 sacrifiés. Un fresque découverte dans les années 50 nous montrent les hommes , ongles arrachés, se faire massacrer à la chaîne. Par soucis de raccourcis narratifs, Gibson évacue le fait que les captifs étaient nourris pendant un an puis drogués avant d'être tués.
La représentation des Mayas peut aussi étonner mais là également, les images et les bas-reliefs sont conformes à la vision du film. Un monde totalement étranger que le réalisateur garde bien d'occidentaliser . Le spectateur est alors dans la tête de Pattes-de-jaguar : il ne comprend pas vraiment ce qu'il voit mais il sait qu'il va mourir.
Le miracle qui sauvera le héros nous plonge alors directement dans la dernière partie où Apocalypto se transforme en un survival brutal mâtiné d'un film d'action forestier. La fuite de Pattes-de-jaguar n'est en fait qu'un prélude à sa rébellion et on découvre qu'une fois dans sa forêt, il devient aussi impitoyable que ses poursuivants. Mais il ne tue pas pour un dieu sanguinaire mais pour sauver sa vie et celle de sa famille.
L'arrivée des Espagnols sauvera finalement le héros. Là aussi, Gibson est clair : les Espagnols sont des missionnaires, des envoyés de Dieu. Le païen est donc sauvé par le chrétien. Un raccourci saisissant qui ne plairait pas forcément à tout le monde.
Avec Apocalypto, Mel Gibson veut démontrer que l'occident n'a pas forcément le monopole de la barbarie. En choisissant la VO , la violence et une idéologie simple (voire simpliste) , il ne fait pas le pari de la facilité, bien au contraire. On pourrait même dire qu'il tend le bâton pour se faire battre par ses nombreux détracteurs et ceux que ses idées antisémites font bondir (j'en fais partie).
Mais on ne peut nier l'essentiel : Apocalypto est un spectacle barbare et jouissif en même temps qu'une réflexion poussée sur la notion de civilisation. Il se pose même en contre exemple absolu de La forêt d'émeraude. Pas sûr que les écologistes apprécient.
D'un point de vue cinématographique , l'emploi de la caméra HD permet des images d'une très grande luminosité et le montage, jamais saccadé, plonge directement le spectateur au coeur de l'action. Gibson a joué dans tellement de blockbusters d'action qu'il en a assimilé tous les codes et toutes les ficelles. Il se sert désormais de son savoir faire pour mettre ses idées sur le grand écran. On peut ne pas être d'accord avec lui mais au final on ne pas lui reprocher son efficacité.
Quand aux acteurs, tous totalement inconnu , ils sont d'une justesse incroyable, payant vraiment de leur personne et devenant entre les mains du réalisateur (le dieu ?) des objets souffrant, courant, mourant dans un tourbillon effréné.
Les 2h18 du métrage ne souffrent que de peu de temps morts. On regrettera juste la trop longue place laissée à l'acheminement des captifs vers le lieu du sacrifice. A l'inverse, Gibson imprime dans nos rétines des images dignes des tableaux de De La Tour ou de Bloch, telle cette scène où Pattes-de-jaguar traverse un champ de cadavres en décomposition : l'analogie avec les survivants des camps de la mort devant les montagnes humaines de leur compagnie d'infortune n'est pas bien loin.
Avec 40 millions de dollars, Gibson s'offre une reconstitution historique qu'un grand studio aurait multiplié par 4 ou 5 niveau facture. Là aussi , l'emploi de la HD, les acteurs peu connus, le tournage au Mexique font que Apocalypto voit le moindre de ses dollars à l'écran. La reconstitution de la cité du Soleil , rendu possible par le numérique marquera également les mémoires. Mais rappellera aussi qu'elle fut le théâtre de cérémonies monstrueuses auxquelles mettront fin les Espagnols. On peut reprocher à la colonisation des choses épouvantables mais on doit lui reconnaître d'avoir anéanti ces cultes sanguinaires.
Apocalypto montre que l'ex Mad Max est toujours aussi incontrôlable. Ses détracteurs trouveront une occasion supplémentaires de le lyncher. Mais ceux qui aiment le cinéma couillu et brisant les tabous ne pourront qu'applaudir.