Le pitch : le destin hors du commun d'un cheval à travers la première guerre mondiale
Quand Steven Spielberg a annoncé sa volonté de tourner Cheval de guerre, pas mal de gens se sont interrogés sur la pertinence d'adapter ce roman jeunesse de Michael Morpurgo où un animal raconte à la 1ere personne son histoire, d'autant plus que la période développée, 14-18, a été très peu adaptée au cinéma, à la différence de la période 39-35 qui a fait l'objet de milliers de films. Spielberg lui même s'y est aventuré plusieurs fois notammen avec les magistraux Il faut sauver le soldat Ryan et La liste de Schindler.
Mais le grand cinéaste n'est pas homme à reculer devant un défi. Avec son équipe habituelle, il va reconstituer les champs de bataille de la grande guerre d'une manière aussi pointue que pour ses autres films historiques. Mais surtout, il va décentrer l'histoire , d'une part en supprimant la première personne qu'utilise le cheval et donc en enlevant tout soupçon anthropophormisme et d'autre part en se focalisant aussi sur les humains que va recontrer Joey.
De ces décisions, le cheval devient le trait d'union entre les personnages et non plus le héros exclusif du film. On quitte donc l'univers jeunesse pour entrer de plain pied dans un univers bien plus adulte. Et même si l'histoire a été quelque peu modifiée (la partie où deux soldats allemands désertent avec les chevaux est absente du roman), elle s'appuie largement sur le roman, le sublime et l'amène à un autre niveau.
Mais ce qui fait la force du film en est parfois la faiblesse. En passant d'un propriétaire à un autre, Joey va certes modifier leur destin, parfois tragiquement, mais le spectateur a parfois du mal à s'identifier durablement à un personnage. Et même si Albert, son premier propriétaire traverse lui aussi le film du début à la fin, le destin de Joey semble parfois éloigné du film. Spieberg se focalise sur les rapports humains, n'humanise pas son cheval et il ne peut donc pas s'appuyer sur un seul personnage, sous peine de trahir le roman. L'exercice est donc digne d'un équilibriste et le film est parfois à la limite de la rupture.
Mais parfois ne veut pas dire qu'il rompt. Et c'est là qu'on retrouve le génie de Spielberg, que l'on jurerait habité ici par John Ford. Sa mise en scène transcende l'histoire et ses personnages. Sa capacité à amener l'émotion au cours des scènes les plus simples, de faire monter le suspens juste avec sa caméra (la scène où Emily cache les chevaux tandis que l'armée allemande pénètre dans la cour de la ferme) font de Cheval de guerre un des sommets de sa riche carrière. Et même si le succès n'a pas été franc (seulement 180 millions de dollars dans le monde entier, son plus faible score depuis Munich), il est clair que le temps se chargera de réhabiliter le film.
Car rien que pour deux séquences, Cheval de guerre est fabuleux ! Il y a bien entendu la scène que tout le monde a décrite, celle où Joey traverse les tranchées pour finir dans les barbelés, scène ahurissante et d'une maitrise totale. Mais il y a aussi cette charge de cavalerie qui va sceller le destin des deux chevaux et qui montre la folie de cette guerre. Car depuis le conflit civil américain, la cavalerie marquait le pas face aux armes mécaniques. Spielberg montre ici le tragique passage de relais à travers cette charge mortelle qui se conclut par un carnage tant pour les hommes que les chevaux.
Si l'on peut s'étonner que tout le monde parle anglais dans les tranchées allemandes (il aurait été plus judicieux de sous-titrer les dialogues allemands), Cheval de guerre est une réussite majeure, un film époustouflant et une vraie histoire d'amitié !!
Spielberg a réussi totalement son adaptation. Rien que pour cela, vous devez (re)découvrir son film en vidéo.