Le pitch : un installateur du câble va s’introduire dans la vie d’un jeune homme bien sous tout rapport.
En 1996, Jim Carrey est le nouveau roi de la comédie américaine. Les deux Ace Ventura et The Mask en ont fait une star, et il va toucher 10 millions de dollars pour incarner l’homme-mystère dans Batman Forever. Son style cartoon et son débit de parole ultra-rapide séduisent le public, et son humour, parfois outrancier, font hurler de rire les foules. L’acteur, jamais avare de défi, est à la recherche d’un rôle qui permettrait de sortir un peu du comique pur et dur et de montrer sa face noire. Car Carrey est un homme tourmenté comme le montre les interviews de l’époque. Disjoncté sera le véhicule qu’il voulait. Et même si le film ne sera pas le triomphe espéré, il reste sans doute l’un de ses meilleurs films à ce jour.
Armé d’un script en béton, Carrey va aller chercher Ben Stiller, jeune réalisateur qui n’est pas encore connu comme acteur, et Matthew Brodderick, la star de Wargames, Ferris Bueller, Family Business ou Glory mais qu’on a un peu perdu de vue. Son jeu totalement à l’opposé de Carrey fera merveille. Tout est prêt pour le trio qui, doté d’un budget confortable de 47 millions de dollars (dont 20 iront dans la poche de Carrey) va se lancer dans un film destiné à être un des hits de 1996 !
Disons le tout de suite, si je considère Disjoncté comme l’un des meilleurs films de Carrey, c’est parce qu’il a su à merveille concilier tous les aspects du comédien : tel un Louis de Funès moderne, il grimace à merveille, se grime et ne recule devant aucun gag, y compris les plus salaces (la scène du jeu du mot de passe porno !!) . Mais en même temps, il développe des aspects bien inquiétants, plus proche d’un Norman Bates que du Stanely Ipkiss qu’adorent les enfants ! Il manipule, ment, fait chanter ses clients et peut passer de l’expression la plus charmante à celle d’un tueur prêt à fondre sur sa proie ! A côté, Matthew Brodderick est formidable en monsieur tout le monde totalement dépassé et qui n’ose dire non, dans un premier temps, à cet envahisseur gonflé.
Carrey et Stiller viennent de la télévision. Ils l’aiment et la détestent. Du coup, le film est construit comme une suite de petits sketches qui pris individuellement pourraient faire des courts-métrages hilarants. Mais en les liant entre eux par cette étrange amitié, le scénario les conduit à une conclusion implacable. La mise en scène respecte d’ailleurs les codes de la télé, tout en s’autorisant plusieurs mouvements de grande ampleur.
Disjoncté aligne les scènes cultes, comme celle du Karaoké, celle du basket ou, ma préférée, celle où les deux héros vont manger dans un restaurant moyenâgeux ! Le combat qui s’ensuit est le sommet du film, celui où Carrey devient littéralement un autre et où Stiller s’en donne à cœur joie. En voyant ce type de scène, on peut comprendre pourquoi la comédie américaine est tellement supérieure à la française, n’hésitant pas à mélanger les genres, à aller très loin.
Mais au delà d’une comédie, c’est surtout la formidable construction du film qui interpelle. Le revoir plusieurs fois permet de constater que, par exemple, les membres de la soirée karaoké sont tous présents à un autre moment du film, dans la prison, dans le restaurant où Carrey « corrige » un soupirant de la fiancée de Steven ou parmi les policiers qui viennent arrêter Steven pour recel. Sans compter cet extraordinaire fil rouge que constitue le procès d’un frère ayant assassiné son jumeau et qui sera le point d’orgue final, quand Carrey détruira la grande antenne parabolique !
Disjoncté fut mal accueilli en son temps, même s’il récolta un peu plus de 100 millions dans le monde entier. Je me rappelle l’avoir vu dans une salle quasi vide la semaine de sa sortie et avoir cherché le Laserdisc pendant des semaines. On ne le trouva pas assez drôle ou pas assez effrayant. Il n’était que trop en avance sur son temps. Carrey le compris et redressa rapidement la barre avec Menteur, Menteur puis The Truman Show ! Mais que ce « faux-pas » soit désormais regardé comme un film majeur n’en est que la plus belle revanche.