Le pitch : un chasseur de prime allemand et un ancien esclave s’allient pour délivrer la femme de ce dernier.
Décidément, Tarantino aime explorer les genres les plus différents – et pas forcément les plus nobles – du cinéma. Après le film de sabre, le film de guerre, la série Z horrifique ou le film de gangster, il s’attaque à un pan énorme du cinéma populaire, le western-spaghetti !
Car il n’est pas question ici de redonner du lustre à ce genre autrefois roi que fut le western à la John Ford.Cela, Kevin Costner et Clint Eastwood l’ont remarquablement fait depuis 1991 avec Danse avec les loups, le sublime Wyatt Earp ou Impitoyable. Non, l’influence de Tarantino est à trouver du côté de Rome et de Sergio Léone. Mais même là, plutôt que de se contenter de reprendre les codes de l’auteur d’Il était une fois dans l’Ouest, il va plutôt fouiller du côté du B voire du bis du western italien. D’où la résurrection de Django !! Réalisé en 1966 par Sergio Corbucci, avec Franco Nero dans le rôle-titre, Django a la réputation d’être l’un des western les plus violents jamais réalisés. On est très loin de la majesté de John Ford ou de l’héroïsme de John Wayne.
Ce qui est amusant, c’est que ce personnage de Django ne sera utilisé qu’une seule fois pour de « vrai » dans la seule séquelle officielle, réalisée en 1987, toujours avec Nero. Mais le nom Django sera utilisé dans des dizaines de films, même quand aucun personnage ne s’appelle comme cela. Par exemple, Trinita, prépare ton cercueil est connu sous le nom de Viva Django !
Du coup, pas mal de cinéastes quelque peu roublards se sont servis du nom de Django pour donner plus de visibilité à leur film. Quelques titres : Django tire le premier, Quelques dollars pour Django, Poker d’as pour Django, A genoux Django !!, avec Django, ça va saigner… On l’a compris, on est ici dans le quasi-recyclage d’un concept que l’on peut mettre à toutes les sauces, du moment que l’histoire se passe dans l’Ouest et qu’il y ait des cadavres à la pelle !
Inutile de dire qu’un tel personnage ne pouvait que croiser les chemins de Quentin Tarantino, grand amateur de B et de Bis devant l’éternel. Et que la violence des films italiens ne pouvait que l’exciter. D’où la renaissance sur grand écran et avec un énorme budget (100 millions de dollars) de Django, made in USA !!
D’entrée Tarantino brouille les pistes. Son Django est un esclave noir qui va progressivement apprendre le métier de chasseur de prime auprès d’un mentor allemand !! Rien que pour cela, le pitch vaut le détour. Après, le cinéaste décline cette idée en divisant son film en 3 parties d’inégales longueurs : une première où il met en place les personnages et explique pourquoi le chasseur de prime allemand a besoin de l’esclave noir. Une deuxième un peu plus courte qui voit les deux hommes faire cause commune, permettant à Django d’acquérir une liberté de ton de plus en plus grande, et enfin une dernière où Django va récupérer sa femme, dans un final apocalyptique et sanglant ! Le tout entrecoupé des fameux dialogues tarantinesques et d’explosion de violence aussi soudaine qu’inattendu. D’ailleurs l’amateur de plans sanglants n’attendra que quelques minutes pour assister aux premiers coups de feu dont, sacrilège, la mort d’un cheval recevant une balle en pleine tête. Le ton est rapidement dit : la violence sera graphique, rouge et quasiment cartoonesque !!
Le cinéaste fonctionne par référence, et ce depuis Reservoir Dogs, très fortement inspiré de City on Fire. Lui préfère parler d’hommage, mais ne s’en cache pas, à la différence de certains de ses confrères pour qui le pillage a été érigé en système. Donc, non seulement le Django américain puise son inspiration chez son homologue italien, mais certains tics du western-spaghetti comme les zooms brutaux, une musique décalée (comme toujours chez Tarantino, la bande originale est géniale) ou les très gros plans sont largement présents. Même le générique de début fait très « italien ». Par contre, le côté contemplatif d’un Sergio Leone est ici totalement absent, même si certains paysages sont magnifiquement filmés. Mais les personnages de Tarantino sont trop bavards et adorent s’écouter. Pas de place donc pour de la contemplation ou de très longs plans statiques. Même influencé par le cinéma italien des 60’s, Tarantino reste un cinéaste qui sait vivre avec son temps. Pour preuve, il ose même intégrer un morceau de rap au beau milieu de son film. Et le pire est que cela ne fait pas du tout cheveux sur la soupe.
Django Unchained est long. Peut-être trop. Une bonne vingtaine de minutes de moins n’auraient pas été un scandale. Mais la progression de l’histoire étant tellement passionnante que l’on excuse ce péché d’orgueil. Et puis, les explosions de violence régulières se chargent de réveiller l’hérétique qui aurait osé s’endormir !! Violence parfois hors champs d’ailleurs. Mais violence outrancière : l’avant dernier carnage du film fait penser à du Tex Avery sous acide et les beaux murs blancs de la maison sudiste se colorent en rouge sang au fur et à mesure que s’amoncellent les cadavres. Et c’est dans ces moments que l’on voit que Tarantino sait sacrément bien filmer et monter. Tout y est clair et limpide. Les détracteurs du cinéaste n’y verront qu’images dégénérées ou apologie bêtifiante. Mais les fans de Tarantino le savent : cette violence fait partie de son univers cinématographique comme la danse faisait partie de celui de Fred Astaire. La comparaison est osée, mais après tout pourquoi pas ? Et d’ailleurs je constate que ceux qui critiquent Tarantino ne critiquent pas forcément Woo, période HK, tout aussi agressif dans sa manière d’empiler les corps !!
Faisons juste un petit détour sur la polémique à propos du mot « nègre » qui est sans doute le mot le plus utilisé du film. Spike Lee s’en est scandalisé, mais il est clair qu’en 1859, ce n’était qu’un mot servant à désigner un esclave africain. Le plus « amusant » est de voir Samuel L.Jackson s’en servir également dans chacune de ses phrases. Dont acte ! Django n’est pas un film raciste, bien au contraire. Après tout, le fait de transformer un héros italien blanc en héros noir est plutôt une sacrée prise de risque !!
Django Unchained est assurément l’un des films de ce début d’année. Tarantino assume totalement son côté bis et sublime son sujet sans se restreindre une seule fois. Pas de tabou donc ni verbal ni graphique ! Des dialogues ciselés, une histoire passionnante, des acteurs au diapason – Di Caprio excellent en salaud, Jamie Foxx idéal en Django revanchard – et un final explosif ! Bref, pas de quoi regretter la dizaine d’euro investies dans la place et déjà une grande impatience quant à la sortie vidéo d’un film que l’on reverra avec plaisir.