Le pitch : Etienne, un machineur sans emploi sous le second Empire, arrive dans le Nord. En devenant mineur, il va s’intégrer à cette communauté et tentera, par la grève, d’améliorer ses conditions de vie.
En 1993, Claude Berri signait ce qui est sans aucun doute son film le plus ambitieux et peut-être le projet qui lui tenait le plus à cœur. Tiré du roman phare d’Emile Zola, pierre angulaire avec L’assommoir de la série des Rougons-Macquart, Germinal est bien plus que l’évocation de la lutte des classes dans la France du Second Empire, c’est surtout pour le cinéaste une façon de rendre hommage à son père et à ses origines.
Il est dommage que le marketing n’ait retenu de Germinal que son budget (à l’époque le plus élevé du cinéma français) , occultant le formidable travail de décoration, de costumes, d’effets visuels, bref tout ce qui rendit possible la reconstitution d’une époque à la fois très proche (à peine 140 ans) et si lointaine. Et surtout, peu de monde s’est vraiment intéressés au scénario ! Certes, Berri travaillait à partir d’un matériel extraordinaire, reprenant des centaines de lignes de dialogues du roman et illustrant quantité de passage par des scènes les calquant à la virgule près. Mais c’est justement cette fidélité associée à des partis pris très audacieux au niveau du cadrage (comme ce plan où Magrat, l’épicier, gît, mort et que passent les gendarmes au-dessus de son cadavre) qui fait que ce Germinal est une véritable mine (désolé) de trouvailles, de plans superbes et de passages grandioses.
Il fallait un acteur débutant pour incarner Etienne Lantier. Claude Berri retint Renaud, persuadé que sa gouaille en faisait un véritable leader ouvrier qui se voit vite dépasser par les évènements. Pari risqué, mais pari gagné, n’en déplaisent aux pisse-froid qui n’y ont vu qu’un caprice de réalisateur. Entouré par une distribution solide (Miou-Miou, Depardieu, Judith Henry, Jean-Roger Milo, Jean Carmet, Anny Duperey), le « jeune » acteur ne pouvait que sublimer. Mais tenir un tel film sur ses épaules a hélas eu raison de son avenir dans le métier. Pire, on peut même craindre que l’accueil très froid de la critique l’a dégoûté de ce travail si ingrat que celui de comédien. Là où le chanteur avait l’habitude de travailler avec quelques musiciens, il a dû faire avec des centaines de techniciens, de figurants, des effets visuels, des décors grandioses, un texte parfois étouffant… Bref, un énorme défi qu’il a relevé avec brio mais qui resta juste une parenthèse extraordinaire dans sa carrière (si l’on excepte une participation anecdotique dans Le deal et Wanted). Et franchement, en revoyant le film presque 20 ans après sa sortie, on ne peut que le regretter.
Mais au-delà de ses vedettes, ses effets spéciaux, ses décors, ses costumes, c’est surtout le soin apporté à la reconstitution d’un monde oublié, d’une classe ouvrière qui ne survit plus que dans nos livres. Berri lui rend hommage et, à la différence du roman de Zola, lui donne un véritable beau rôle. Exit donc les passages salaces du livre, la description quelque peu canaille de la société des corons. Mieux encore, la scène du saccage de Jean Bart, bien plus brutale dans le roman, y est montrée en prenant bien soin de montrer comment ces hommes et ces femmes poussés par la faim ne voient finalement pas d’autres solutions. Dans le livre, on sent Zola finalement effrayé par la violence de ses personnages, les regardant de loin et les montrant comme des bêtes sauvages et vulgaires. Berri a su éviter l’écueil du voyeurisme propre au roman (relisez le, vous y jetterez un regard neuf) pour ne garder que la dignité dans la misère.
Germinal fut en 1993 au centre de polémiques bien inutiles. On l’opposa à Jurassic Park, on voulut en faire l’étendard d’une certaine idée du cinéma à la française, on exacerba le nationalisme que l’on entendait dénoncer quand il venait d’outre-atlantique. Une campagne qui desservit le film et, même si les 6 millions d’entrées furent quasiment atteints, le film resta sur une impression de semi échec, ce qui est ridicule.
Car d’une part, Germinal est sans doute avec Manon des Sources et Ensemble c’est tout, le film le plus lumineux, le plus abouti de Claude Berri. Il dépasse en intensité dramatique le merveilleux Tchao Pantin et s’avère être un véritable OVNI dans une production française qui se contente finalement de si peu. Un jour sans doute, les historiens du cinéma s’en rendront vraiment compte, mais gageons que là-haut, Zola et Berri, enfin réunis, ne peuvent que regarder d’un œil bienveillant leur œuvre commune !!