Continuons la comparaison entamée l'an dernier avec la première rupture de la série au cinéma.
Si moins de 12 mois avaient séparé les deux premiers films de la série, il s’écoule plus d’un an et demi avant ce troisième épisode.De plus, Chris Colombus ayant déclaré forfait, l’engagement d’un nouveau réalisateur, Alfonso Cuaron, est l’occasion d’une rupture de ton bien plus perceptible encore que dans les livres.
Le troisième roman est sans doute le moins populaire de la série. Sa structure un peu complexe à base de voyage dans le temps a sans doute rebuté les lecteurs habitués à la forme plus linéaire des deux premiers. Pourtant, c’est ce côté un peu étrange qui fait justement le charme de cet épisode. De plus, certains personnages comme Queue-de-ver ou, bien entendu, Sirius, indispensables pour la suite de l’histoire, prennent vie ici. L’histoire s’emballe et il est clair que JK Rowlings a voulu donner une orientation plus adulte et plus sombre et mettre les jalons qui conduiront à l’apothéose finale des reliques de la mort. Le monde des sorciers devient moins féerique, plus terre-à-terre, plus malsain même et, ceux qui ont lu Une place à prendre l’auront compris, Rowlings entend viser un public bien plus large que celui des enfants.
Si le roman fut l’un des moins populaires à sa sortie, le film sera carrément le moins vu de la série. À peine 250 millions de dollars aux USA, un peu plus de 500 dans le monde. On est loin des chiffres des deux premiers. Pourquoi ? La faute à un script qui d’une part minimise certains aspects majeurs du roman notamment le monstrueux emploi du temps d’Hermione et qui d’autre part verse carrément dans la parodie. Ainsi, la scène introductive où la tante par alliance d’Harry se voit affecter d’un sortilège qui la transforme en ballon est filmée comme dans un banal film comique. Et que dire de ce plan final qui voit Potter sur son balai avec un sourire d’une niaiserie absolue ? À côté de cela, le script en rajoute dans la complexité du voyage dans le temps final, compilant des scènes qui montrent ce que le lecteur avait compris en quelques lignes : oui, Harry et Hermione sont à deux endroits en même temps.
La mise en scène se veut moins classique que celle de Colombus. C’est le cas, mais certains passages sont plutôt d’un ridicule achevé : la partie du Magicobus est peut-être techniquement parfaite, mais en aucun cas, elle ne procure la sensation d’angoisse du roman. Même certains partis pris esthétiques laissent dubitatifs : les jeunes héros ne sont quasiment jamais en habit de sorciers à Poudlard et tout ce qui a trait à l’école est expédié en quelques images. L’essence même du roman se perd dans le film, trop de passages disparaissent ou sont tronqués. Bref, ce troisième film déçoit quelque peu.
Cependant, même si l’on peut éprouver quelques regrets en le voyant, on ne peut pas dire que la franchise est été mise en danger. Les détraqueurs sont d’un rendu terrifiant, toutes les scènes avec le professeur Lupin sont réussies et l’apparition du patronus d’Harry Potter demeure le sommet du film. On ne pourra en dire autant par contre du loup garou franchement miteux, sans doute le pire effet visuel de la série. D’ailleurs les concepteurs des effets de la saga le reconnaissent : faute de temps, ils se sont plantés sur cet aspect. Heureusement, cela ne tire pas trop à conséquence.
Conscient d’un début de rejet de la franchise cinéma, rejet quelque peu amplifié par la sortie en 2003 du roman le plus imposant de la série, L’ordre du Phénix, la Warner va rectifier le tir avec les suites des adaptations. Exit l’humour décalé et cette volonté de prendre trop de distance avec le roman et retour à des adaptations certes imparfaites (il est clair que dès la coupe de feu, il fallait deux films à chaque fois !) mais qui respectent l’histoire. Ici, le réalisateur ne s’est pas mis au service du livre, mais a voulu au contraire en profiter. C’est bien dommage car il démontrera avec Les fils de l’homme qu’il est capable de faire bien mieux. En fait, l’erreur de départ vient bel et bien de la Warner. En voulant à tout prix un « auteur » et non un « faiseur », elle a pris le risque que ce dernier s’approprie l’histoire et la modèle selon son désir ou son univers.