Le pitch : un brave ouvrier inculte rencontre une vieille dame instruite. Chacun va apprendre de l'autre et se nourrir spirituellement.
Après la parenthèse Deux jours à tuer, où Jean Becker avait montré des propensions étonnantes à mettre en scène des personnages négatifs et des situations désespérées, le cinéaste revient ici à ce qu'il sait faire de mieux, à savoir, l'humanisme et l'optimisme. La tête en friche est un film où le cynisme est totalement absent et où la mise en scène, discrète mais solide, se met totalement au service de son sujet.
Jean Becker retrouve donc ici la candeur un peu naïve des enfants du marais et de Dialogue avec mon jardinier, à travers des personnages simples et humains, comme on peut rencontrer dans notre vie de tous les jours. Et pour interpréter cette galerie, il a pris soin de la confier à des acteurs solides et qui n'ont plus rien à prouver, Depardieu en tête, toujours aussi surprenant dans ce rôle de bourru que personne n'a jamais voulu vraiment éduquer. Dans le rôle de Marguerite, Gisèle Casadesus (qui retrouve Becker après son rôle dans Les enfants du marais) est merveilleuse et fait passer avec une grande sensibilité une sorte d'aristocratie vieille France, du temps où le savoir était un trésor que ne méprisaient pas nos "élites".
Les seconds rôles ne sont pas en reste : ainsi François-Xavier Demaison trouve ici un personnage à la mesure de son talent et Mauranne casse quelque peu son image de chanteuse. Tout le casting est à l'avenant, juste et mesuré et faisant du film un véritable festival millimétré de dialogues et de situations vraiment maîtrisées.
Car si le film est la rencontre classique de deux êtres que tout oppose, la grande différence d'âge enlève toute ambiguité et permet donc aux autres personnages d'exister, voire de jalouser ce duo qui s'est si bien trouvé. Mais Becker ne se contente pas de racontrer une belle rencontre, il plonge aussi dans le passé de Germain, un passé douloureux, dominé par une mère qui n'en voulait pas et qui le méprisait, un passé où il fut toujours le souffre douleur de quelqu'un. Et quand la révélation finale des véritables sentiments de sa mère laisse poindre une vision bien différente, Becker met un point d'honneur à ne pas salir ses personnages. On peut lui reprocher sa volonté de mettre en scène la lumière plutôt que les ténèbres, mais ce retournement final, associé à la nouvelle condition de Germain (sa compagne tombe enceinte et il va finalement devenir un vrai support pour Marguerite) permet au film de finir sur une note gaie, en dépit de la situation triste qui s'engage dans le dernier tiers.
Et c'est là toute la force du cinéma de Becker : il aime ses personnages et refuse de leur faire du mal. Et même s'il laisse des questions en suspens, même s'il laisse le spectateur imaginer la "suite" (tout comme il laissait imaginer que Garris allait retrouver Marie à la fin des Enfants du marais), il va tirer la quintessence de la bonté des personnages. C'est sûr, cela ne plaira pas à un critique de Télérama, mais pour ceux qui pensent encore que l'âme humaine n'est pas forcément un océan de noirceur, La tête en friche ne peut qu'être un subtil rappel de ce que la vie peut offrir de meilleur.
En salle, le film rencontra un beau succès, avec 1,2 millions de spectateurs. Le DVD est disponible pour peu qu'on le cherche vraiment. Car, comme tous les films de Becker, La tête en friche se mérite. Et c'est bien là l'une de ses plus grandes qualités.