Le pitch : parce qu'elle a osé touché une licorne, la princesse Lili plonge son monde enchanté dans les ténèbres...
Après avoir exploré le passé lointain (Duellistes) et notre futur (Alien, Blade Runner) Ridley Scott se tournait donc vers un monde totalement fantasmé et s’inspirant des diverses légendes européennes.
D’une beauté plastique hallucinante, tourné dans des décors dantesques et cadré à la manière des plus grands peintres de la Renaissance, Legend est bien plus qu’un superbe livre d’image. Et même s’il n’était que cela, il en remonterait à des dizaines de films de fantasy. Mais au-delà d’un scénario ultra-linéaire et simple, voire simpliste, c’est surtout la vision que Scott a du conte de fée qui écrase le spectateur sur son siège. De l’apparition des licornes à la traversée du miroir par Darkness, de la transformation de Lili en princesse idéale en une femme semblant dévorée par le mal par le simple biais d’un changement de coiffure et de robe, ou de la découverte des armes par Jack (Tom Cruise dans son rôle le plus sous-estimé), Legend est en fait une relecture totale des contes. Ici, c’est bel et bien la tentation du mal et une vision très crue qui est mise en scène. Ainsi, Lili va bouleverser l’équilibre du monde en touchant la licorne, malgré les mises en garde de Jack. Or, la licorne, avec sa corne sur le front, symbolise la masculinité. Il suffit de se remémorer les splendides tapisseries visibles au musée de Cluny pour voir que cet animal représente bien plus, aux yeux des gens du Moyen Age, qu’une simple créature imaginaire. C’est d’ailleurs le mâle que Lili va caresser. À partir de là, le monde plonge dans les ténèbres, le froid, la destruction, le meurtre.
Avec Legend, Ridley Scott achevait la première partie de sa carrière, celle où il se tournait entièrement vers le visuel. Ici, il n’hésite pas à se citer. Ainsi, certains aspects de la cité de Darkness rappellent furieusement le Nostromo, les maquillages luisants des trolls évoquent sans ambiguïté la créature d’Alien. La vision idyllique du monde de Jack et Lili plonge lui directement dans les plus belles scènes de duellistes, avec notamment ces milliers de particules végétales s’envolant au gré du vent. Il est clair que l’histoire importe peu à Scott. Ce qu’il veut, c’est peindre avec sa caméra, sculpter avec sa lumière et donner un sens au mot « beauté ».
Car Legend est un superbe film. Il est bien plus pensé qu’on ne l’a dit. Sa progression dramatique, même entachée par des effets visuels qui ont quelque peu vieillis, ne s’embarrasse pas de fioritures. Les personnages vont d’un point A à un point B et s’ils sont écrasés par la mise en scène ne se mettent pas moins au service de l’histoire. On a gaussé sur le sourire éclatant de Tom Cruise, mais c’est justement cette candeur qui en fait le charme, une sorte de Peter Pan qui aurait grandi et qui s’apprête à affronter les ténèbres.
Mais la plus grande réussite est bien entendu Darkness, magnifié par Tim Curry et dont le maquillage d’anthologie représente sans aucun doute un sommet de cette technologie ! Scott le révèle par petite touche avant de le mettre enfin en pleine lumière, dans le dernier tiers du film. Tenant à la fois du Lucifer de Faust et du diable médiéval présent dans les Danses Macabres, Darkness est le tentateur, le menteur, le séducteur, le meurtrier. Ridley Scott le film comme on filme une icône sportive, un mannequin ou une diva ! On a tellement reproché au réalisateur anglais sa propension à clipper ses films qu’on ne s’étonne pas, presque 30 ans après, de voir une telle approche.
Legend est un film sous-estimé, maudit même. Son échec US (à peine 15 millions de dollars de recettes), ses multiples montages, ses deux bandes originales en font une œuvre totalement à part dans la filmographie monstrueuse de Scott ! Mais il est clair qu’il a influencé toute l’héroïc fantasy. Et même s’il ne l’a jamais avoué, Peter Jackson a clairement puisé dans l’univers de Legend pour construire celui du seigneur des anneaux. Il suffit de comparer le maquillage du troll de Scott avec les gobelins de Jackson pour s’en convaincre.