Un singe en hiver (*****)
Le pitch : Alors
qu’il a cessé de boire depuis plus de 15 ans, le propriétaire d’un hôtel normand va recevoir un jeune père divorcée qui noie son chagrin dans l’alcool. Cela sera l’occasion de replonger avec lui
pour une nuit totalement folle.
En 1962, Henri Verneuil va réussir un coup de maître en réunissant deux générations du cinéma français dans un film absolument génial. D’un côté, Jean Gabin, légende vivante du cinéma français et de l’autre un débutant qui ne l’est plus vraiment, Jean Paul Belmondo. Celui qu’on n’appelle pas encore Bébel a déjà tourné A bout de souffle, Cartouche, Un nommé La Rocca ou Léon Morin prêtre et sa carrière s’envole. Gabin lui est au top depuis 1946, quasiment tous ces films sont millionnaires et ses récents succès s’appellent Le cave se rebiffe, le président, Archimède le clochard, Les Misérables, la série des Maigret ou La traversée de Paris. Bref, deux pointures, deux monstres , l’un confirmé, l’autre en devenir.
Pour ce film, Verneuil retrouve donc Gabin, avec qui il a tourné Le président un an plus tôt. Verneuil est aussi un abonné au succès, souvent associé à Fernandel (La vache et le prisonnier, Le grand chef ou L’ennemi public numéro 1). Il adapte donc un roman d’Antoine Blondin, demande à Audiard de s’occuper des dialogues, engage des seconds rôles solides comme la délicieuse Suzanne Flon (qui des décennies plus tard deviendra une habituée des films de Jean Becker) et se lance donc dans la narration de cette rencontre.
Car Un singe en hiver est le récit doux amère de la rencontre entre deux âmes perdues. L’un chercher vainement à se convaincre qu’il a bien fait d’arrêter de boire et que son existence devenue terne est ce qui pouvait lui arriver de mieux. L’autre cherche des réponses et joue à s’autodétruire, sans se rendre compte que sa fille Marie, dernier lien qui le relie à la vie, a besoin de lui.
Le film prend son temps pour arriver à la fameuse nuit. Verneuil prend soin de montrer comment les liens vont se tisser entre les deux hommes. Il met en place tous les éléments qu’il va utiliser lors de la mémorable beuverie : la rencontre avec le commerçant qui fournira les feux d’artifices, le mépris qu’a Gabin pour ses anciens camarades de cuite, la tristesse de sa femme qui voit bien que le jeune homme réveille en lui des démons qu’elle espérait enfouis à jamais, le pensionnat où vit la petite Marie et où une bonne sœur qui se dit anglaise apporte une touche de comique involontaire.
Verneuil prend aussi soin de montrer les deux visages des héros, le visage sobre et le visage alcoolisé. Il montre aussi comment les deux hommes vont s’apprécier, comment l’ancien va tenter d’écarter le jeune de la voie défendue avant de plonger avec lui avec délice. Et pour se faire, Audiard emploie un truc tout simple : sobre, les héros se vouvoient, mais soumis à l’alcool, ils se tutoient.
Mais Un singe en hiver est bien au delà de la simple farce potache. En mettant en scène la nostalgie d’un empire colonial défunt et en donnant comme prétexte à Gabin sa jeunesse enfuie, quand il était militaire en Indochine, le film plonge dans un univers à jamais disparu.
Bien entendu, avec de tels acteurs et un tel dialoguiste, on ne peut que se régaler. Que les scènes soient graves ou drôle, Un singe en hiver reste toujours très haut ! Belmondo n’avait pas encore les quelques tics que des grincheux lui reprocheront plus tard, et Gabin excelle dans ce rôle d’un mentor pas très sage ! La mise en scène de Verneuil est certes académique mais quelle joie que d’admirer des plans aussi bien composés. L’élégance personnifiée et la preuve qu’il fut un temps où le cinéma français était fabriqué avec un professionnalisme à tout épreuve.
La progression de l’intrigue amène donc à cette fameuse nuit, où le duo vite rejoint par un troisième larron va dynamiter la tranquillité de la petite bourgade normande. Le festival de bons mots d’anthologie et de scènes cocasses en fait un véritable feu d’artifice, au sens propre comme au figuré. Et l’on vient presque à regretter le choix du noir&blanc qui nous prive du festival de couleurs décrit par les personnages.
Un singe en hiver, près de 50 ans après sa sortie, reste donc un bonheur total, un de ces films que l’on peut voir des dizaines de fois sans se lasser. Et ce n’est pas cette excellente édition DVD qui me démentira.