Le pitch : étranglé par les dettes, un Américain de 90 ans devient "mule" pour un cartel mexicain.
Clint Eastwood et les histoires réelles, c'est devenu une tradition : American Sniper, Sully, Invictus, Mémoires de nos pères, J.Edgar et j'en passe. Avec La Mule, il reste donc fidèle à ce qu'il estime être un devoir de mémoire, à savoir raconter des tranches de vies américaines, sans les juger et livre à nouveau un superbe film.
Présent devant la caméra pour la première fois depuis 2011 (Une nouvelle chance) et se filmant pour la première fois depuis 2009 (Gran Torino), Eastwood s'est offert le premier rôle , celui de Earl Stone, un vieil homme aux abois qui a mis son travail avant sa famille et qui va se ré-inventer dans le transport de drogue ce qui, paradoxalement va lui permettre de renouer avec les siens , et pas que sur un plan financier.
Fidèle à sa méthode, l'acteur/réalisateur reconstitue donc une époque, ou plutôt un contexte ici, dans ses moindres détails. Il n'occulte pas la violence des cartels, l'attrait pour cet argent facile et condamnable et la traque dont Stone va faire l'objet.
Mais surtout, il brosse le portrait d'un homme au dessus de tout soupçon et dont la candeur, la naïveté même va lui permettre certes de réussir ses voyages mais aussi de naviguer dans un milieu extrêmement dangereux. Ainsi, sa visite dans la villa du baron de la drogue , joué par un José Garcia qui n'en finit plus d'accumuler les rôles de truands depuis sa partition magistrale dans Le parrain 3, est quasiment surréaliste. Il comprend bien que tout ce luxe n'est pas dû à un travail honnête et intensif, mais ébloui, il ne peut s'empêcher de dire "il faut en tuer des gens pour arriver à ça. C'est magnifique !".
Eastwood n'a d'ailleurs pas peur de montrer les mauvais côtés de Stone. Mauvais père (il rate le mariage de sa fille), mauvais mari (il a délaissé sa femme pendant des années), il se permet également quelques saillies pas franchement politiquement correct à l'égard de la famille noire qu'il dépanne ou des lesbiennes à moto qu'il rencontre. Ce faisant, il ne fait que dépeindre un homme de 90 ans, qui a grandi dans les préjugés raciaux, retrouvant quelque peu la misanthropie de Gran Torino. Comme dans ce dernier film , il n'hésite pas à montrer sa vieillesse à l'écran, une démarche entamée en 1992 avec Impitoyable !
Et comme je l'ai déjà écrit, cet argent sale va lui permettre de se remettre à flot puis de faire le bien autour de lui, même s'il n'est pas dupe de la provenance de cette source et qu'il comprend que, petit à petit, il se met au service de criminels, pire qu'il leur appartient, comme se chargera de lui faire comprendre le nouveau boss ambitieux qui a dessoudé l'ancien.
Au bout de ce voyage, Stone va finalement retrouver sa dignité, accompagner son épouse dans son ultime combat contre la maladie, retrouver l'amour de sa fille. Et si la morale est sauve (arrêté, il plaidera coupable et ira purger sa peine de prison), jamais le cynisme qui aurait pu plomber le film ne pointe le bout de son nez.
A ses côtés, Bradley Cooper est parfait dans le rôle de Colin Bates, l'agent de la DEA , même s'il est finalement très en retrait dans l'histoire et que ses scènes communes avec le réalisateur qui l'avait dirigé dans American Sniper ne sont au nombre que de deux. Cependant, la scène où Stone confesse ses erreurs familiales à Bates est le sommet de La Mule, d'autant plus surréaliste que Bates ignore qu'il est face à l'homme qu'il traque depuis des semaines.
Côté casting, Eastwood a toujours su s'entourer : Laurence Fishburne, José Garcia et même sa fille Alison donnent à cette histoire, au rythme lent, un parfum d'authenticité indéniable. La technique est, comme toujours, impeccable et les cadrages rendent justice à l'itinéraire du héros . Bien évidemment, le montage suit les préceptes du réalisateurs : sobre, efficace et lisible ! Eastwood n'a jamais caché son amour pour John Ford et les grands maîtres du western. Et à cet égard, La mule en est un : les grands espaces, le cow boy solitaire en quête de rédemption, le shérif incorruptible, les bandits de grand chemin qui ont remplacé l'attaque de diligence par le trafic de drogue...
Le réalisateur voit aussi le film comme un road movie. Les paysages filmés sont magnifiques et l'Amérique représentée ici est celle des grandes routes interminables , des 4 voies que l'on parcourt pendant des milles en s'émerveillant de ce que l'on peut voir par sa portière. Je le sais, je l'ai fait plusieurs fois. Mais Earl Stone, qui sillonne son pays depuis des décennies, ne regarde plus ces paysages, il préfère chantonner, accentuant encore le surréalisme d'une situation. Même surveillé par certains caïds du cartel, nerveux à l'idée de le voir transporter une telle cargaison, il ne perd pas son naturel. Après tout, c'est bien grâce à son aspect de "pépé tranquille" qu'il peut sillonner les USA sans attirer l'attention.
Succès aux USA (plus de 100 millions de recettes), un peu plus mitigé dans le monde (70 millions) , La Mule est donc une nouvelle superbe étape dans la carrière prolifique de Clint Eastwood. Ne reniant en rien ses valeurs américaines, l'acteur/réalisateur continue donc de tourner et s'il sait que ses plus belles années sont derrière lui depuis longtemps, il n'en est guère nostalgique.
Le Blu-ray permet d'admirer les superbes paysages dans un magnifique transfert. Par contre, on ne peut qu'être déçu que les bonus n'abordent pas le fait que cette histoire est tirée d'un fait réel. J'aurais bien aimé en savoir plus sur le vrai Léo Sharp, le vrai nom de Earl Stone qui fut arrêté en 2011 avec une centaine de kg de cocaïne dans sa voiture et qui avoua en avoir transporté pendant plus de 10 ans.