Confinement oblige, je me suis mis à relire mes vieux bouquins de SF (car j'ai lu tout ce que j'avais en cours, que les librairies et médiathèques sont fermées et que la Poste ne passant qu'une ou deux fois dans la semaine, commander sur le net ne m'emballe pas plus que cela).
Bref, je me suis relu quelques romans d'Isaac Asimov, notamment Face aux feux du soleil, qui décrit une société où 20 000 êtres humains vivent éparpillés sur une planète, ne se rencontrent jamais, sauf en visio-conférence, sont servis par une armée de machines et se méfient comme de la peste des microbes que pourraient leur apporter les étrangers à leur planète. Dans ce monde qui ressemble à la situation que l'on vit actuellement (en poussant à fond les curseurs bien sûr) , un meurtre a été commis, chose impensable vu qu'aucune personne ne supporte la présence d'une autre.
J'ai également lu les différentes nouvelles sur les robots, à savoir Robots et Un défilé de robots. Dans ces livres, Asimov met en place ses fameuses lois sur la robotique dont la première dit "Un robot ne peut pas faire de mal à un être humain". Ecrites dans les années 40 et 50, les nouvelles sur les robots donnent également à réfléchir sur notre condition actuelle, sur notre facilité à confier aveuglement nos vies à la technologie.
Du coup, je me suis demandé si Asimov avait souvent été adapté au cinéma car son oeuvre est immense (des dizaines de romans, des cycles comme Fondation s'étendant sur des milliers de pages...) et la réponse est non. Quelques films sont sortis de son oeuvre , mais seuls d'eux d'entre eux ont connu une carrière internationale. Il s'agit de I Robot de Alex Proyas et L'homme bicentenaire de Chris Colombus.
I, Robot est un excellent film d'action avec Will Smith , parfait en détective robotphobe (même s'il a un bras électronique) , mais son rapport avec Asimov est assez lointain. On y cite les 3 lois, l'héroïne s'appelle Susan Calvin (mais elle est bien plus jeune que celle des nouvelles qui raconte ses souvenirs du haut de ses 75 ans) et un robot y est accusé de meurtre, comme dans Face aux feux du soleil. Pour le reste, c'est une trame classique , visiblement remontée quelque peu par le studio tant les idées subversives de Proyas (il a tout de même offert au 7eme art The Crow et Dark City) sont peu présentes. Si la technique est là (les scènes d'action sont d'une lisibilité sans faille), I Robot est plus un show à la gloire de Will Smith qu'une réflexion poussée sur la condition des êtres mécaniques comme le sont les romans d'Asimov.
Cela étant dit, le néophyte ne remarquera pas du tout ces aspects et appréciera le film comme un très bon film d'action situé dans le futur, magnifié par les décors de notre compatriote Patrick Tatopoulos. Le design des robots est très réussis et l'animation 3D suffisamment bien fichue pour faire croire à cette société où le mécanique vit à côté de l'home. A noter la participation d'un Shia Labeouf tout jeunot qui n'avait pas encore pris la mauvaise habitude de cracher sur les films auxquels il participe (après en avoir assuré la promo).
Bref, niveau fidélité, il vaut mieux chercher du côté de L'homme bicentenaire, un film rare (il existe une version DVD, épuisée depuis des années) et décrié mais qui, pourtant est une vraie lecture du matériel littéraire d'origine.
Dans L'homme bicentenaire, Robin Williams, parfait, incarne un robot qui petit à petit va acquérir des caractéristiques humaines et mourir au bout de 200 ans, en ayant réussi à obtenir le qualitatif d'homme, de s'être marié et de vieillir.
A la différence d'I, Robot, le film de Chris Colombus ne se sert pas de son concept pour délivrer un film d'action mais se pose comme une véritable réflexion sur de qu'est un homme. Au départ, esclave , il va se distinguer des congénères par son empathie , notamment à l'égard de la famille de son maître Martin (interprété par Sam Neil) et petit à petit obtenir sa liberté. A noter que dans la nouvelle originelle donnera lieu à une nouvelle interprétation co-écrite avec Robert Silverberg en 1993.
Évidemment, les fans d'action pure et dure passeront ici leur chemin. Le film est d'un rythme lent, assez contemplatif mais, je le répète, fidèle à l'écrit d'Asimov dont le style passait surtout par les dialogues et non les descriptions. Visuellement, le film est cependant plus riche que le livre et les maquillages de Robin Williams qui vont évoluer tout au long du film permirent à Greg Cannon d'être nommé à l'Oscar.
On le voit, l'un des maitres de la SF littéraire a été peu adaptée. On a longtemps parlé d'une adaptation de Fondation, son autre série fleuve (7 romans qui font d'ailleurs lien avec le cycle des Robots) mais il évident que seule la télévision pourrait rendre justice à cet énorme morceau d'histoire. Un moment pressenti par Roland Emmerich , les droits sont actuellement dans le giron d'Apple. La société informatique a confié il y a 2 ans l'écriture d'une série télévisée à David Goyer, mais pour le moment, on parle toujours de projet.
L'explication à cette absence de cinéma d'Asimov est simple et je l'ai déjà dit. Ses histoires sont basées sur les dialogues et les joutes verbales, pas sur l'action. Il faut donc un énorme travail d'adaptation pour rendre "accessible" commercialement une histoire d'Asimov. C'est ce qu'a fait Proyas. Mais quand Colombus a tenté la fidélité avec L'homme bicentenaire, le public n'a pas suivi.
Il est donc à craindre que le lecteur d'Asimov continue à se faire ses propres films en lisant les romans. Ce qui est bien dommage vu la richesse de son univers.