Le pitch : alors qu'il enquête sur un crime en Alaska, Will Dormer, un inspecteur de police chevronné abat, par accident, son coéquipier. Mais le tir a un témoin : le criminel qu'il cherchait justement à arrêter.
Avant de s'emparer du Caped Crusader en 2005 avec Batman Begins, Christopher Nolan s'était fait un nom dans le thriller, tout d'abord avec Mémento puis avec Insomnia, remake US d'un film finlandais. Steven Soderbergh , producteur, avait eu du mal à imposer Nolan auprès de la Warner, qui espérait un réalisateur plus "aguerri" mais l'auteur de Ocean's Eleven tint bon. Bien lui en a pris car on peut penser que c'est bien Insomnia qui a totalement lancé la carrière de Nolan et le début de sa collaboration avec la Warner !
Pour cette nouvelle incursion dans le thriller , il s'offre un casting royal avec Al Pacino , Robin Williams (prodigieux dans un contre emploi implacable), Hillary Swank et Maura Terney (connue pour son merveilleux rôle d'infirmière dans la série Urgences), des décors naturels somptueux (l'Alaska en pleine période où le soleil ne se couche pas) et, évidemment, d'un scénario qui, même en abattant rapidement ses cartes , promène le spectateur d'un bout à l'autre de l'histoire. Les 46 millions de budget sont judicieusement employés et sont à l'écran, comme toujours chez lui !
En 2002, Nolan n'a encore pas les moyens dont il bénéficiera à partir de Batman, mais son cinéma est déjà fait pour le grand écran. Utilisant l'image pour raconter son histoire, même si elle n'est pas de lui, il s'attarde sur les visages, celui blafard et épuisé de Pacino , celui plus troublant et machiavélique de Williams, enfin celui de Hillary Swank qui, petit à petit, va passer de l'admiration envers Dormer, inspecteur qu'elle admire, à un sentiment bien plus trouble, surtout quand elle va comprendre la vérité. Et quand la machine s'accélère comme dans cette course poursuite qui va se terminer sur des troncs flottants, là aussi, la virtuosité de l'auteur d'Interstellar ou Tenet était déjà là. Certes, ces moments sont rares - seul le duel final entre les deux hommes peut être qualifié de "spectaculaire" - mais c'est surtout l'affrontement psychologique entre deux personnages pas si éloigné que cela qui fait le sel de l'histoire. Et au milieu, tenace, la femme flic qui, comme lui a appris son mentor, fait des "petites" enquêtes, convaincue que quelque chose ne va pas.
En adaptant une histoire européenne, Nolan ne se contente pas de l'américaniser, même si le cadre de l'Alaska participe totalement à l'histoire, il en fait surtout un cauchemar halluciné où les apparences sont tellement trompeuses. La voie sans issue où s'enlise Al Pacino et où Robin Williams le maintient, anticipant toutes les erreurs à venir de l'inspecteur. Et même si la morale finira par l'emporter, il faudra attendre les dernières secondes pour que les différents protagonistes de cette terrible histoire règlent leur compte, non sans que l'on ait cru qu'ils allaient vraiment plonger dans le pire.
Thriller majuscule, ténébreux, dur sur ses personnages - Maura Terney a cette terrible phrase "L'Alaska on y vit parce qu'on y est né, ou parce qu'on y est venu pour fuir quelque chose" - Insomnia porte en lui tout le cinéma à venir de Nolan : les faux semblants, les errances entre le bien et le mal, les décors naturels, la duplicité de certains mais aussi la lumineuse innocence qui refuse de se laisser corrompre !
Revoir Insomnia presque 20 ans après sa sortie - je l'avais découvert en DVD en 2005 - permet donc de voir un cinéaste en gestation. Le dire semble une évidence, mais à l'époque, qui pensait vraiment qu'il révolutionnerait le cinéma de manière aussi importante ?