Une séquelle est toujours quelque chose de complexe à aborder. On peut se contenter de refaire le même film , éventuellement en multipliant les effets du premier. On peut prolonger une histoire dont les ramifications permettent une suite logique (ce fut le cas de la saga Star Wars). Ou alors on peut aller dans une autre direction totalement différente.
Le silence des Agneaux est considéré à la fois comme une oeuvre de cinéma adulte , un sommet du film noir et une réussite commerciale et artistique. Le film de Jonnathan Demme , sorti sans tambours ni trompette en 91 , parvint à se hisser au sommet du box office sans pour autant être dénigré par la critique. Les oscars qu'il ramassa confirmèrent encore ce statut de film à part. Son aura ne fit alors que grandir et l'idée même d'une séquelle semblait être une hérésie. Mais c'est sans compter sans les comptables des différents intervenants. Puisque Le silence des Agneaux avait rapporté plus de 300 millions de dollars sur la planète, un deuxième opus pouvait également engranger pas mal de billets verts.
Thomas Harris mit un certain temps avant d'écrire la suite. Réticent puis sans doute convaincu par un salaire confortable, il livra un pavé de 600 pages qui choqua, énerva ou émerveilla le lecteur. Pas de demi-mesure , le livre fut considéré soit comme totalement génial soit comme complètement raté. Reste qu'il fut un succès de librairie fracassant.
Dino de Laurentis, vieux briscard du cinoche populaire, possédant les droits du livre, se mit naturellement en tête d'adapter le livre au grand écran. La fin fut modifiée à la fois pour éviter de choquer et pour redonner un effet de surprise. Mais du côté de l'équipe artistique , ce fut la débandande. Tous les protagonistes du premier volet refusèrent excepté Anthony Hopkins, tout heureux de retrouver le personnage qui fit sa gloire. Qu'à cela ne tienne, De Laurentis chercha du sang neuf. Pour Clarice, il choisit Julianne Moore, actrice phénoménale qui transcende le film par sa seul présence, et à la réalisation un de ses vieux amis, Ridley Scott. Le cinéaste anglais achevait Gladiator quand il conclut le deal , à l'ancienne selon De Laurentis, c'est à dire à la faveur d'une bonne poignée de main.
Parlons un peu de Ridley Scott. Il y a un an , l'immense réalisateur d'Alien était considéré comme un ringard de première. Oublié Blade Runner, Duellistes, Legend , Black Rain, Thelma et Louise. Même 1492 dégage une atmosphère extraordinaire. Il est vrai que GI Janes avait fait craindre le pire. Mais alors que certains réalisateurs bénéficient d'une clémence de la part de la presse (au hasard John Carpenter à qui ont a pardonné LA 2013 ou Les aventures d'un homme invisible) , Scott a été mis plus bas que terre. Heureusement, des types avisés comme Spielberg (on peut légitimement qu'il s'y connait en cinoche) ont bien voulu faire confiance au vieux pro. Et comme Gladiator était un sujet à la hauteur de l'immense talent de Scott, le résultat ne pouvait qu'être exceptionnel.
Hannibal, sous la direction de Scott, prend donc une direction totalement différente. Fini les non-dits , les sous-entendu. Là tout est dans la lumière : le visage défiguré de Gary Goldman, les tripes de l'inspecteur italien s'étalant sur le sol, les porcs se régalant d'hommes bien gras. Ambiance totalement différente donc. Traitement différente, exit le suspense du premier et les scènes croisées et place à une histoire où l'on se demande constamment : comment est-ce que cela va évaluer ? La déchéance de Clarice n'est peut être pas assez abordée mais le jeu diabolique d'Hannibal permet de faire passer toutes les outrances. Le lien ambiguë qui le lie à Clarisse laisse entrevoir des abîmes vertigineux. Et les fameuses scènes finales ne laisseront personne indifférent.
Stephen King disait du livre "Ce n'est pas bien , c'est mieux". On pourrait dire du film "Ce n'est pas bien, c'est différent". L'intelligence de la production est d'avoir choisi une autre optique , une autre ambiance. Scott oblige, les scènes sont parfaitement lisibles et incroyablement bien cadrées. Le travail technique et les lumières montrent aussi la patte d'un génie de l'image.
Hannibal est donc un film réussi mais qui ne pourra pas plaire à tous. Les fans hardcore du premier opus trouveront cette séquelle trop démonstrative. Peut être mais depuis quand un film de studio avait-il osé aller aussi loin ? Scott réussit là où beaucoup se sont plantés : il livre une oeuvre où l'immoralité est érigée en règle, où le bon est puni (Le dernier plan de Clarice, mise en joue par la police, c'est à dire par sa notion de l'ordre et de la morale). Dans Hannibal, le personnage principal réussit l'exploit d'être le mal incarné et de susciter la sympathie. Rien à voir avec Freddy ou Jason.
Succès critique, succès public : Hannibal fait le sans faute. Et la carrière de Scott , désormais totalement relancée , va de nouveau être passionnante à suivre. Car, il faut le mentionner, Ridley Scott est l'un des derniers vrais artisans de notre cinéma.